L’empowerment natif : le numérique nous libère

Une nouvelle liberté s’écrit au regard du numérique et de nouvelles responsabilités. Elle va révolutionner les organisations et leurs environnements réglementaires et économiques. Le rétablissement de la capacité de choix est par essence ambigu. Plus libre et sans autre contrainte que lui-même, l’Homme est face à ses choix, face à ses limites et à la capacité de les dépasser.

Depuis plusieurs années, avec l’émergence des nouvelles formes d’entreprise, nous vivons un retournement des organisations. L’individu devient pour elles un véritable centre de gravité, et de nouveaux collectifs, dans lesquels il se reconnaît, émergent : les communautés. Aujourd’hui, c’est toute la société qui est en passe d’achever cette révolution copernicienne. Plusieurs grands changements modifient notre culture en profondeur et font peut-être de l’entreprise le laboratoire social, l’ouvreur de voies, qu’elle aurait toujours dû être. En découlent de nouvelles formes de liberté : liberté face aux savoirs, liberté de trouver et de prendre sa place dans la société, et, par là même, perspective d’une liberté de choix et de transaction.

La liberté face aux savoirs

Notre rapport au savoir évolue radicalement. Michel Serres a évoqué la nécessité de changer nos modes d’enseignement, puisque désormais la connaissance est accessible instantanément en ligne. Plus structurellement, les méthodes agiles ont déplacé la valeur de la théorie à la pratique, au concret, aux solutions. L’individu redevient créateur. L’essor de la pédagogie Montessori n’est pas un hasard :

L'enfant n'est plus un vase que l'on remplit, mais une source que l'on laisse jaillir - Maria Montessori.

Elle insistait sur la nécessité d’apprendre par l’expérience, et de stimuler les enfants tout en leur offrant plus de choix que dans les cursus classiques. Les nouvelles générations ne restent dans une entreprise que si elles peuvent continuer à apprendre et à s’enrichir. Proposer des savoirs, offrir aux collaborateurs le temps nécessaire pour se les approprier, devient un attribut de la marque employeur. Aujourd’hui, les entreprises créent de la valeur si elles savent laisser jaillir la créativité de leurs collaborateurs. Pour ce faire, on aménage désormais des espaces de créativité individuels et collectifs, et on respecte ce temps de créativité productive pour l’adulte comme on commence à respecter celui de l’enfant.

Ce changement est soutenu par la révolution numérique en elle-même. Il existe une telle accélération des technologies et un tel afflux d’informations qu’il devient impossible de maîtriser les savoirs. Les informations pleuvent, avec leur lot d’inexactitudes et de manipulations. La confiance et le pouvoir se déplacent d’une masse de savoirs établis et estampillés vers la capacité de chacun à se construire une opinion et un esprit critique. Ce nouveau rapport aux savoirs donne à l’individu des moyens complémentaires, alternatifs aux classiques cursus scolaires, aux structures établies de la connaissance pour le laisser libre d’apprendre ce qui nourrit sa créativité. La technologie est enfin conçue à la mesure de chacun, et devient donc source de productivité et d’épanouissement, changeant peut-être définitivement notre rapport au travail et à ses régulations. Elle contribue à créer un état permanent d’apprentissage qui affranchit l’homme et le rend plus avide encore de savoirs. L’individu est désormais plus libre de se déterminer lui-même, à commencer par imaginer sa place dans la Société.

La liberté de prendre sa place dans la Société et dans l’entreprise

Si la logique “bottom-up » tellement en vogue dans les ouvrages de management est désormais possible, c’est parce que l’environnement de l’entreprise, et toute la société, sont en voie d’alignement.

La société s’est horizontalisée. Il nous suffit de penser à l’évolution, en quelques décennies, de la hiérarchie familiale. De nouveaux collectifs se créent qui, grâce au numérique, ont davantage d’audience qu’au siècle dernier. Ils mobilisent dans toute la société, ils sont éphémères et non exclusifs. Autre évolution, la primauté du père de famille s’est progressivement équilibrée au profit des femmes, et surtout au profit de l’enfant. Ces nouveaux équilibres se traduisent dans nos entreprises par une évolution de notre rapport aux temps sociaux et par une quête de sens indispensable.

L’ensemble de ces changements, interdépendants les uns des autres, produit les conditions de ce que nous pourrions appeler un “empowerment natif de l’individu”, bouleversant ainsi les organisations vieillissantes de nos entreprises puis de la fonction publique. Cette horizontalité libère l’individu, que ce soit dans la société ou dans l’entreprise, en produisant une nouvelle forme d’égalité, qui contribue à briser les anciens codes sociaux et hiérarchiques pour redonner à chacun une confiance nouvelle dans sa capacité à créer et maîtriser son destin. C’est ce même sentiment plus vif d’égalité qui exige de nous une attention particulière au respect de la dignité de chacun.

Vers la liberté de choisir et de transiger

Désormais, l’individu est une force centrifuge dans l’entreprise. Il est ancré dans sa puissance d’apprentissage et son autodétermination. Tout tourne autour de lui : l’organisation, les attentes et les moyens. Et c’est cet environnement instable qui le stabilise.

Peut-être notre époque a-t-elle vocation à rendre à l’individu sa capacité, et donc sa liberté, de transaction ? Guy Standing, dans le Précariat, évoque les “résidents précaires” qui occupent un emploi qu’ils n’ont pas choisi, avec pour seul espoir de survivre, des personnes “constamment à la merci d’une erreur, d’une maladie, d’un accident, qui peut les mettre à la rue”. Si la société est capable de restaurer la capacité de transaction, elle pourra s’inscrire à l’opposé de toutes les notions d’assistanat. Il ne s’agit pas de redistribuer les revenus, mais de garantir à l’individu un droit inaliénable au choix de son mode de travail et d’engagement.

Au moins deux pistes méritent d’être explorées. Le revenu universel, d’abord. Il permettrait à chacun d’avoir les moyens de satisfaire ses besoins premiers, afin de se consacrer à ses études ou à lever les barrières de son ambition professionnelle. Autre piste, un assouplissement des règles permettant l’accès au travail. L’individu pourrait être salarié, mais aussi free-lance, entrepreneur ou formateur. Chacun d’entre nous serait donc à même de construire son employabilité, de manière très opérationnelle, pour optimiser à la fois sa propre création de valeur et son épanouissement personnel. Davantage de liberté pour donner un sens à sa vie et prévenir les frustrations qui bloquent notre société. Certes, un tel monde de liberté peut paraître idyllique. Il verra évidemment naître de nouveaux obstacles, mais peut-être avec une approche différente pour les surmonter.

Nous sommes en route vers une réémergence du sujet et de la capacité de choix des individus. Grâce au développement de la robotique et de l’intelligence artificielle, l’individu redevient un sujet. Car, contrairement à ce que voudraient nombre d’idées reçues, les outils numériques sont avant tout des vecteurs d’émancipation. Puisqu’il est devenu facile de croiser des données ou de réaliser des tâches répétitives, notre engagement quitte le “comment” pour investir le “pourquoi”. L’individu devient un sujet lorsqu’il peut configurer des outils pour servir le sens qu’il donne à sa vie et à son action. Le numérique nous libère de l’obligation de moyens, qui est aveugle, au profit de l’obligation de résultat. Les jeunes générations tiennent à voir l’impact immédiat de leurs actions. Cette recherche d’impact modifie radicalement le rapport à soi et au collectif, ébauchant une éthique de vie inédite.

Une nouvelle liberté s’écrit au regard du numérique et de nouvelles responsabilités.

Elle va révolutionner les organisations et leurs environnements réglementaires et économiques. Le rétablissement de la capacité de choix est par essence ambigu. Plus libre et sans autre contrainte que lui-même, l’Homme est face à ses choix, face à ses limites et à la capacité de les dépasser.

Auteur : Matthieu Fouquet

Partner RH et Secrétaire général