L’expérience client vecteur d’émotions

Toutes les entreprises évoquent dorénavant l’émotion, comme un nouvel eldorado dans la relation client. Elles ont en tête l’expérience délivrée par Amazon ou Starbucks, marques qui ont su s’imposer dans l’économie. Pour savoir si c’est réellement d’émotion que ces expériences sont constituées, il suffit de se projeter dans un hypothétique monde de demain.

Créer des relations sans coutures

Imaginons donc un monde où les nouvelles technologies n’auraient pas seulement simplifié l’expérience client, en la rendant fluide, riche, efficace, rentable. Imaginons un monde où les entreprises auraient même su donner le change sur le champ des émotions, en développant des schémas qui positionneraient le client, au cœur de la relation et des intérêts de l’entreprise, toujours soucieuse de la satisfaction client, synonyme de fidélité. Imaginons même des robots qui pourraient duper des humains, en leur donnant l’impression qu’ils converseraient avec des congénères, et pensant alors vivre une vraie rencontre avec des humains. Imaginons, un monde où toute relation transactionnelle, d’achat, serait optimale, au travers d’une expérience client, qui ferait penser à chacun d’entre nous qu’il est le centre du monde. Imaginons un monde où les modèles prédictifs pousseraient les produits rêvés, même avant que le besoin puisse survenir chez le consommateur. Imaginons un monde où les robots ou drones délivreraient les produits à domicile, sans le besoin de se déplacer.

Voudrions-nous vraiment de ce monde-là ? Ce monde si efficace, si fluide, si instantané, si aseptisé ne perdrait-il pas de son intérêt ? Les humains, ne perdraient-ils pas leur raison d’être et de vivre ? Finalement, dans un tel monde, les humains ne seraient-ils pas alors devenus des robots, des machines ? Ce monde, serait-il tout simplement encore humain ?

Ce petit travail projectif d’anticipation amène à essayer de caractériser l’humanité. Dans le film « Un jour sans fin », Bill Murray revit tous les jours la même expérience, les mêmes rencontres et en perd le goût de vivre, et d’une certaine façon totalement résigné, son humanité. A partir de cette fiction, et des errements de son personnage, on peut essayer de comprendre les ressorts de l’émotion. Celle qui fait bondir les cœurs, celle qui rend encore plus vivant ! Ainsi, en y regardant de plus près, vivre, accepter son humanité, ne serait-il pas d’accepter l’imprévu, l’improbable, ce hasard qui nous fascine tant, et qu’on se félicite de rencontrer quand il fait bien les choses ? En outre, être humain n’est-il pas aussi caractérisé par l’intime conviction d’être utile aux autres, de leur apporter de soi, de les aider, de contribuer ?

Le hasard et le sens, ne seraient-il pas finalement les principes de notre humanité ? Ne pas savoir de quoi sera fait demain et être utile à la communauté ne nous rendraient-ils pas encore plus humains ? L’un des pires châtiments infligés par Zeus a bien été de contraindre Sisyphe à rouler un gros rocher jusqu’à la fin des temps. Devons-nous nous résoudre à devenir des Sisyphe ? Balzac nous avertit bien : « Il n’y a rien de plus triste qu’une vie sans hasard. »

Comment les entreprises peuvent-elles développer encore plus de hasard, encore plus de sens dans l’expérience qu’elles proposeraient à leurs clients, pour les rendre encore plus vivants, plus fiers ? Là, se trouve probablement la clé de l’expérience émotionnelle ultime.

« J’ai l’intuition que les entreprises qui sauront créer les conditions du hasard et du sens, seront celles qui gagneront la bataille de la relation client. »

Hasard et sens : des pistes pour recréer les conditions de l’émotion

Le hasard est, par définition, imprévisible. Pour autant, le rendre possible est certainement une piste. Comme provoquer le hasard, cette serendipité ? Une étude a démontré que les clients qui passaient par le service après-vente d’une entreprise de luxe, devenaient encore plus fidèles et achetaient en moyenne à 6 à 7 fois plus de produits. Evidemment, il ne faut pas en déduire une règle simpliste qui consisterait à créer des défauts dans la relation client ou dans les produits, pour engager un processus d’après-vente et démontrer sa capacité à être au rendez-vous d’une promesse, face à une situation client porteuse de mécontentement. En revanche, organiser l’imprévu par la rencontre entre les clients, développer des actions surprenantes et positives pour les clients, sont de réels leviers.

Le magasin londonien flagship de Burberry’s propose des concerts de musique, de manière erratique, et relaye ces événements dans tous les autres magasins. Telle autre marque envoie des articles à ses meilleurs clients, sous forme de cadeaux, soit à des moments-clé de vie, comme la date anniversaire ou à un autre moment de l’année. Une autre enseigne laisse ses magasins organiser des événements locaux, en lien avec la vie de quartier ou pas, comme des collations. Une compagnie aérienne américaine a embauché des stewards selon leur capacité à improviser lors des annonces de sécurité. Dans tous ces cas, effet garanti ! Emotion ! L’émotion peut également être magnifiée par la mise en relation des clients entre eux, dans une sorte de communauté, créant les conditions de la rencontre. L’entreprise, lien social, peut être légitime pour créer de l’émotion.

L’autre levier de l’émotion ultime, celle qui rend vivant, est bien le sens donné à nos actions, même quand il s’agit d’actes d’achat. Ainsi, les entreprises qui sauront développer du sens, à la fois pour leurs collaborateurs, mais aussi pour leurs clients, pourront accompagner le changement en cours des comportements des clients et leurs attentes.

Les clients en effet, pétris de contradictions, veulent non seulement les meilleurs produits aux meilleurs prix, mais également participer à la construction de la société. Préserver leur pouvoir d’achat à court terme et s’assurer d’une action positive sur l’environnement, sur la société à long terme sont des paradoxes auxquels sont aujourd’hui confrontés tous les citoyens. C’est bien aujourd’hui toute la complexité du mouvement des « gilets jaunes », soucieux de garantir leur pouvoir d’achat, face aux enjeux de l’écologie sur le long terme.

Dans ce contexte de transformation majeure de la société, les entreprises pourront développer des offres, des services, des valeurs, qui trouveront un écho particulier avec le consommateur-citoyen. Proposer d’arrondir le montant à la hausse pour abonder dans des actions humanitaires, apporter les preuves du respect de l’environnement et de la sauvegarde de grandes causes, comme le travail des enfants, l’éducation des femmes, agir pour la formation et l’intégration des populations de migrants, les leviers ne manquent pas !

L’exemple le plus probant et mis en avant en termes de marque responsable reste Patagonia, qui se positionne clairement sur une responsabilité sociale et environnementale, allant même jusqu’à la remise en cause du système capitaliste, au travers de nouveaux indicateurs de mesure de la performance. Cette entreprise de vêtements d’escalade, fabriqués à partir de matière écologique et réutilisable, reverse 1% de ses revenus annuels à des associations de défense de l’environnement. D’ailleurs, les salariés de Patagonia travaillent deux mois par an pour des associations.

Autre marque qui se détache, Veja, qui utilise pour fabriquer ses baskets, le b-mesh, une toile fabriquée à partir de bouteilles en plastique recyclées. La transparence est également un fil conducteur pour Veja, notamment sur les conditions de travail des chaînes de fabrication, alors que les consommateurs ont encore en tête l’effondrement du tragique effondrement d’un immeuble de confection à Dacca, tuant 1.127 personnes. L’entreprise devient un vecteur d’éveil et d’éducation des citoyens. Son fondateur pousse même très loin l’engagement de son entreprise, évoquant les domaines de la spiritualité et l’éthique. Attention à ne pas jouer avec ces belles valeurs, car si elles ne sont qu’incantations, le client dupé tournera rapidement ses talons. Les réseaux sociaux, l’accès à l’information, débusqueront rapidement les faussaires et les manipulateurs. Pour les entreprises qui ne pourront assumer ce positionnement éthique et le prouver par des propositions de valeur, il vaut mieux ne pas s’engager sur ce terrain et rester des entreprises du « temps court ».

Dans un monde de plus en plus aseptisé, où le futur est anticipé, l’humain a encore plus besoin d’espaces de liberté. Les entreprises ont un rôle à jouer, en proposant des expériences client, porteuses de sens et d’engagement collectif, tout en provoquant le hasard. La combinaison de ces deux leviers fera battre les cœurs des humains, en quête de vie.

"Il n'y a pas de hasard. Il n'y a que des rendez-vous" Paul Eluard

Auteur : onepoint

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