L’avatar au cœur du métavers : comprendre les enjeux pour en favoriser l’acceptation.

Avec une médiatisation croissante du phénomène « métavers », la place de l’avatar (manifestation d’un individu dans un monde virtuel) intrigue.

 

L’avatar, en tant que construction virtuelle, se doit être conçu en prenant considération plusieurs caractéristiques de l’utilisateur. Il peut s’agir de ses facteurs sociobiologiques, de ses représentations de l’environnement qui l’entoure ou encore d’un éventuel objectif à atteindre.

En somme, plusieurs mécanismes doivent se superposer pour aboutir à une création d’avatar sensée et cohérente. C’est d’ailleurs dans cette dynamique que des avatars peuvent être acceptables, a priori, puis acceptés, a posteriori. Il s’agira d’explorer à travers cet article ce qu’est véritablement un avatar, puis d’identifier les différents critères qui peuvent faciliter leur implémentation dans un métavers.

Un engouement manifeste pour les avatars

L’intérêt pour les avatars est multiple. Les articles traitant du sujet se font de plus en plus nombreux. Ils abordent plusieurs points spécifiques comme le rapport à soi et aux autres ou encore l’expérience de la mort.

A titre d’exemple, la question de l’identité à travers l’avatar soulève plusieurs craintes notamment pour ce qui a trait à la construction de soi ; il serait plus difficile, a priori, de faire une distinction stricte entre “le soi” et ce qui relève de l’idéalisation de soi.

A ce propos, la chercheuse Stéphanie Buisine du laboratoire LINEACT, affirme que “l’identité dépasse la dimension humaine”. Il faut ici comprendre qu’il existe une interdépendance entre l’expérience du réel, tel que vécu au quotidien, et l’expérience du virtuel.

Cela fait notamment référence à l’effet Proteus [8]. Ce phénomène s’explique par la tendance d’un individu à se comporter de la manière dont il perçoit son avatar. Par exemple, une performance cognitive réalisée à travers l’avatar d’Albert Einstein sera mieux réussie qu’à travers un avatar ordinaire [1]. Cela permet de comprendre en quoi les avatars influencent les individus qu’ils reflètent.

De même, certains articles s’accordent à dire que l’avatar peut être aussi synonyme de nouvelles expériences. Il est tout à fait envisageable que l’avatar puisse être un vecteur de réinsertion sociale, notamment à la suite d’une peine de prison par exemple.

Parallèlement à cela, l’expérience de la mort intrigue, et cela pour plusieurs raisons. Dans un métavers, la mort peut être mise en scène et perdre sa dimension anxiogène. Elle peut revêtir une dimension tragique, comique, héroïque, vengeresse ou même stratégique. En somme, ce qui est recherchée est l’exploration d’une sensation impossible à vivre autrement que dans un métavers.

L’ « avatâra » protéiforme : des origines mythologiques hindoues aux outils de personnalisation

Le terme d’avatar n’est pas anodin.

D’origine hindoue, le mot “avatâra” est formé du préfixe ava, qui renvoie à un mouvement de haut en bas, et de la racine târ qui signifie “traverser”. Il faut ici comprendre qu’il y a une dynamique dans laquelle la “divine toute puissance” se mélange à l’humain vulnérable.

En effet, dans la mythologie hindoue, l’avatar est la représentation du dieu Vishnou, dieu de la stabilité du monde, entretenant la vie et la création. C’est également le dieu du temps. L’objectif de ses interventions est de rétablir un certain ordre cosmique et moral, troublé par des puissances démoniaques.

Dans cette perspective, Vishnou incarne plusieurs formes d’avatars, contextuelles à la situation qu’il souhaite prévenir : tantôt un avatar de poisson (nommé Matsya) pour avertir l’humanité d’un déluge imminent, tantôt une tortue (Kurma) pour soulever une montagne à grâce à sa carapace, ou encore un sanglier (Varaha) pour soutenir la terre grâce à ses défenses. En somme, il est aisément observable que les différentes formes d’avatars divins adoptées par Vishnou s’adaptent à chaque situation.

Si l’analogie doit être faite avec l’avatar au cœur du métavers, il y a alors trois possibilités de conception.

Tout d’abord, il y a les métavers fermés et décentralisés. Dans ces espaces numériques, l’accès ne se fait que par la création d’un compte dédié, où il y a finalement un nombre d’utilisateurs déterminés, à la manière d’un intranet. L’objectif d’un tel métavers pourrait tout à fait être la formation.

D’autre part, il existe également les métavers ouverts et centralisés. L’accès s’y fait aussi par un compte dédié, où les achats effectués restent dans ce métavers. Le nombre d’utilisateurs y est sensiblement plus élevés. C’est le cas par exemple de Fortnite ou encore World of Warcraft.

Enfin, le dernier type de métavers est celui ouvert et décentralisé. L’accès s’y fait via wallet cryptographique. Les utilisateurs n’y sont pas nécessairement très nombreux, mais peuvent intervenir sur le design de l’environnement. Si la plateforme venait à fermer, les utilisateurs resteraient malgré tout détenteurs de leurs achats et autres éléments de personnalisation d’avatars éventuels.

Aujourd’hui, les outils de personnalisation des avatars ne manquent pas.

Ils sont pluriels et ont vocation à proposer des avatars adaptés à des besoins spécifiques. On peut par exemple remarquer des possibilités de personnalisation accrues, dans certains jeux, lorsqu’il s’agit de vivre une histoire de manière immersive. C’est notamment le cas pour des jeux comme Cyberpunk 2077.

En revanche, d’autres outils de personnalisation sont sensiblement moins immersifs et trouvent leur utilité par la simple représentation d’un individu au sein d’un environnement plus atypique (World of Warcraft, par exemple).

Ce constat soulève à lui seul plusieurs interrogations, inhérentes à la création des avatars, notamment en ce qui concerne la nécessité ou non du réalisme de l’avatar, le temps passer à le créer et l’intention de le réutiliser ou non. In fine, ces éléments convergent tous pour souligner une importance manifeste de l’identification à l’avatar.

S’identifier à son avatar : processus inévitable ?

Bon nombre d’appréhensions concernant les avatars sont liées au rapport qu’ils entretiennent avec les utilisateurs. On considère parfois que l’avatar est la manifestation directe d’une forme d’idéalisation de l’utilisateurs.

Mais qu’en est-il réellement ? La littérature scientifique regorge d’articles expliquant ce phénomène. Mais deux d’entre eux apportent des réponses particulièrement explicites. Tout d’abord, l’équipe de Ducheneaut (2009) a mené une étude sur les modalités de personnalisation des avatars. Pour cela, les chercheurs ont déterminé trois objectifs quant à leur étude

  • comprendre comment les utilisateurs interagissent avec les systèmes de création d’avatar ;
  • évaluer les outils de création et de personnalisation d’avatar en matière d’utilité et de facilité d’utilisation ;
  • comprendre l’interaction avatar / utilisateur.

Pour cela, ils ont mesuré trois variables (temps passer à personnaliser l’avatar, la satisfaction à l’égard des outils mis à disposition et l’intention de passer du temps à utiliser l’avatar).

Les métavers choisis étaient Second Life (très réaliste), Maple Story (réaliste) et World of Warcraft (peu réaliste). A l’issue de cela, les participants de l’étude ont répondu à un questionnaire Big Five [2].

Les résultats de l’étude montrent que plus le métavers est réaliste, plus l’utilisateur passe du temps à personnaliser son avatar. De même, trois constats complémentaires ont été observés ; les utilisateurs ne se montrent pas forcément plus agréables avec leur avatar. En revanche, ils se montrent plus consciencieux et plus extravertis. Mais les individus se montrent moins ouverts et expriment moins d’émotions négatives.

L’étude de Ducheneaut et ses collaborateurs est à mettre en perspective avec l’étude de Loewen, Burris et Nackle (2021). Dans cette étude, les chercheurs ont mesuré trois dimensions du “soi” : ce que l’on est, ce qu’on aimerait être, et ce qu’on pense que l’on doit être.

Les résultats obtenus étaient analysés d’après les intentions des participants de faire soit un avatar idéal, soit un avatar réaliste ou alors un avatar fantaisiste. A l’issue de l’étude, les chercheurs démontrent que plus l’écart entre la perception de soi et une vision de soi idéalisée est grand, plus il y a une tendance à créer un avatar idéalisé.

En somme, ce que l’on peut tirer de ces études est qu’il y a bien une identification à l’avatar qui varie en fonction de la perception que l’utilisateur se fait de lui même. D’autre part, l’avatar suggère qu’il y a une forme d’idéalisation de soi dépendante de la perception que l’on se fait de soi-même. Enfin, la création d’avatar se doit d’être adaptée à l’activité pour laquelle elle est conçue.

Penser et concevoir les avatars de demain

Avec cet intérêt croissant pour le métavers et les avatars, il est tout à fait envisageable que la question ”avez-vous un avatar ?” devienne tout à fait usuelle. Les avatars ne sont plus juste restreints aujourd’hui aux jeux vidéo.

Plusieurs exemples peuvent être considérés. Il peut tout à fait s’agir de Livi, avatar-model du groupe LVMH, supposé être inclusif, présenté comme égérie de la marque.

On peut également présupposer que les avatars deviendront des non fungible people. Par le biais de ces NFP, il devient possible pour chacun d’acheter la propriété d’un avatar très réaliste, en devenant possesseur d’un fichier source. La finalité serait de permettre à cet avatar d’être interopérable.

Dans cette dynamique, l’avatar serait utilisable pour la création de jeux, la participation à des animations ou encore la réalisation de vidéos. Chaque avatar 3D est compatible avec des logiciels populaires tels que Blender, Unreal, Unity ou encore Daz Studio.

A ce jour, quand la question de l’interopérabilité des avatars est évoquée, il est souvent fait référence à la plateforme Ready Player Me. Il s’agit d’une application qui permet de créer son avatar à partir d’une photo, puis de le personnaliser à partir d’environ 300 variables.

Une fois terminé, cet avatar est utilisable dans plus de 2000 applications et autres jeux de l’écosystème partenaire. L’intérêt de cette plateforme est qu’elle est décentralisée, et s’illustre actuellement comme une sorte de passeport pour le métavers.

Pour une conception d’avatars plus sensée et acceptable, plusieurs facteurs doivent être pris en considération :

  • La tâche à réaliser [5] : une attention particulière doit être accordée aux capacités des avatars au sein du métavers. En effet, les habilités d’un avatar doivent être cohérentes au regard de l’objectif à atteindre. Par exemple, dans le cas où des avatars sont utilisés pour des réunions professionnelles, il semble tout à fait inutile que ces derniers puissent, par exemple, réaliser des sauts de plusieurs dizaines de mètres.
  • Les caractéristiques de l’environnement [8] : le cadre dans lequel interagit un avatar influence fortement le comportement de l’utilisateur. A ce titre, l’environnement joue un rôle prépondérant sur la manière dont les interactions sociales virtuelles seront régulées.
  • Le désir d’harmonisation sociale [3]: indépendamment du rapport à soi à travers la conception des avatars (c.-à-d., l’idéalisation de soi), ce qui est globalement recherché est une forme d’harmonisation sociale. En clair, il y a une tendance globale qui consiste à s’identifier à un groupe, auquel on peut s’identifier, en accord avec les normes socialement et virtuellement admises.
  • Les caractéristiques techniques [7]: les éléments de personnalisation d’avatar doivent être suffisant pour que chaque utilisateur puisse disposer des moyens de se recréer dans un métavers.
  • Les besoins spécifiques [4]: les avatars doivent permettre de garantir trois besoins majeurs pour réaliser une activité donnée. Tout d’abord, l’avatar doit pouvoir refléter les compétences de l’utilisateur quant à la mission qui lui est confiée. Puis il doit pouvoir évoluer au cœur du métavers sans être systématiquement tributaire de l’autorité qui régule ce métavers. Enfin, l’avatar doit permettre d’interagir avec les autres, en limitant autant que possible les entraves potentielles et garantir l’autonomie de l’utilisateur.

Avec l’arrivée de plus en plus prégnante du métavers, les avatars sont voués à occuper une place toujours plus affirmée.

Cela concerne la sphère professionnelle, la dimension relationnelle mais aussi les habitudes de consommation ou tout simplement le rapport à soi.

Cependant, il est fondamental de ne pas simplement considérer les avatars comme des extensions des utilisateurs dans une réalité virtuelle.

Plusieurs facteurs sont à considérer en amont de tout processus de conception. L’objectif de ces enjeux reste de proposer un cadre acceptable, aussi bien en matière d’intégrité psychique, que sur le plan psychoaffectif, afin d’envisager que les avatars soient acceptés à moyens et longs termes.

Bibliographie

  1. Banakou, D., Kishore, S., & Slater, M. (2018). Virtually being Einstein results in an improvement in cognitive task performance and a decrease in age bias. Frontiers in psychology, 917.
  2. Costa Jr, P. T., & McCrae, R. R. (2008). The Revised Neo Personality Inventory (neo-pi-r). Sage Publications, Inc.
  3. Ducheneaut, N., Wen, M. H., Yee, N., & Wadley, G. (2009, April). Body and mind: a study of avatar personalization in three virtual worlds. In Proceedings of the SIGCHI conference on human factors in computing systems (pp. 1151-1160).
  4. Jahn, K., Kordyaka, B., Machulska, A., Eiler, T. J., Gruenewald, A., Klucken, T., … & Niehaves, B. (2021). Individualized gamification elements: The impact of avatar and feedback design on reuse intention. Computers in Human Behavior, 119, 106702.
  5. Kolesnichenko, A., McVeigh-Schultz, J., & Isbister, K. (2019, June). Understanding emerging design practices for avatar systems in the commercial social vr ecology. In Proceedings of the 2019 on Designing Interactive Systems Conference (pp. 241-252).
  6. Loewen, M. G., Burris, C. T., & Nacke, L. E. (2021). Me, Myself, and Not-I: self-discrepancy type predicts avatar creation style. Frontiers in Psychology, 11, 1902.
  7. McArthur, V. (2017, May). The UX of avatar customization. In Proceedings of the 2017 CHI conference on human factors in computing systems (pp. 5029-5033).
  8. Yee, N., & Bailenson, J. (2007). The Proteus effect: The effect of transformed self-representation on behavior. Human communication research, 33(3), 271-290.

Auteur : Adahé Saban

Doctorant Innovative strategy, R&D

Auteur : Renaud Mignerey

PhD - Pilote de programme R&D

Auteur : Christophe Canas

Sustainable Innovation strategist & Designer