Nudge : un levier pour accompagner la transformation des organisations ?

Que sont les nudges exactement et pourquoi devrions-nous nous en inspirer dans la réalisation de projets de transformation ?

 

Découvrez le billet d’Alexandra Delmas, Docteure en sciences cognitives et consultante R&D et Frédéric Merienne, Leader, qui intervient depuis 12 ans sur des sujets d’optimisation de processus et d’organisations.

L’être humain n’est pas rationnel. Nos choix sont influencés par nos habitudes, nos influences, et nos émotions. Autrement dit, nos biais cognitifs.

Les biais cognitifs sont des raccourcis de pensée qui provoquent des erreurs de raisonnement, souvent inconscients. Il s’agit d’une déviation systématique de la pensée logique et rationnelle par rapport aux principes logiques et probabilistes. Le concept a été introduit en 1974 par Daniel Kahneman et Amos Tversky1 pour expliquer certaines tendances vers des décisions irrationnelles dans le domaine économique. Ils remettent alors en question la théorie de l’Homo Economicus, qui stipule que l’homme est « un être rationnel qui maximise son intérêt personnel et prend des décisions les plus justes en considérant toutes les informations pertinentes ».

Les biais interviennent en général quand nous devons prendre une décision urgente et lorsque nous avons peu d’informations pour traiter tous les paramètres de façon analytique. Notre cerveau va alors faire ces raccourcis de pensée avec le peu d’informations qu’il possède.

Dans un monde ultra-connecté, ce sont donc souvent à cause de nos biais que nous avons du mal à modifier nos comportements, même s’il s’agit de notre santé ou d’une raison noble comme la transition écologique. L’Humain a alors besoin d’accélérateurs pour modifier son raisonnement et initier ces nouveaux comportements : ce sont les « nudges ».

Nudge : un « coup de pouce » pour modifier les comportements

Ce sont Richard Thaler et Cass Sunstein qui introduisent pour la première fois la notion de nudge2: « Un nudge est un aspect de l’architecture des choix qui modifie de manière prévisible le comportement des individus sans interdire aucune des options et sans changer significativement leurs incitations économiques. Pour être un nudge pur, l’intervention doit être facile et peu coûteuse. »

Le principe du nudge est d’agir sur « l’architecture de choix ». Il incite en douceur à un changement de comportement en cours d’action tout en laissant la personne libre de son choix. Pour être efficace, il doit répondre ainsi aux caractéristiques suivantes :

  • Make me easy : le changement de l’usage doit être simple et évidente pour l’individu. Il ne doit réclamer aucun effort de réflexion, il doit être peu coûteux et facilement implémentable.
  • Le bon timing : l’information doit être disponible au moment où la décision se prend.
  • La durabilité : l’effet incitatif ne doit pas s’effriter dans le temps et doit avoir un impact fort sur une majorité de personne. Si un public s’habitue à un nudge, son impact va diminuer au fil du temps.
  • Le fondement scientifique du levier comportemental : pour générer le déclic souhaité, la mécanique doit être solide, c’est-à-dire ancrée dans les heuristiques humaines fondamentales et démontrée au travers d’expérimentations rigoureuses.

Les cibles et les domaines d’intervention de l’économie comportementale sont nombreux, ils s’adressent essentiellement à des publics d’usagers, de citoyens voir de client. En voici 3 exemples d’application :

  • Le plus célèbre et sorte de précurseur est l’installation d’une fausse mouche dans les urinoirs de l’aéroport Schipol d’Amsterdam. Cette coquetterie a permis de diminuer significativement les éclaboussures au sol, générant ainsi une baisse de 80% des coûts de nettoyage3 et une revalorisation de l’image de marque.
  • Dans la ville de Londres, il est proposé aux usagers des cendriers de rue, permettant de « voter à l’air libre » avec son mégot de cigarette (en l’occurrence pour son joueur de football favori), ce dispositif ludique a généré une réduction du nombre de mégots au sol4
  • Enfin, pour inciter les contribuables français à effectuer leur déclaration de revenus en ligne, plusieurs campagnes de communication ont été déployées. Elles précisaient par exemple « déjà 13,6 millions de foyers déclaraient en ligne », afin de jouer sur le biais de norme sociale. Résultats : Une hausse de 20% des déclarations en ligne et une baisse significative du coût des campagnes déclaratives via papier5

Si les grands groupes et les acteurs publics ont tout d’abord expérimenté le nudge auprès de leurs clients, usagers ou partenaires, ils tendent aujourd’hui à le mobiliser en interne pour favoriser l’engagement et la performance des salariés

C’est le postulat et la base des travaux d’Eric Singler dans son ouvrage sur le Nudge management6. Il estime que les entreprises négligent quatre dimensions : l’équité de traitement, l’accomplissement personnel, le sens de la camaraderie et la mission globale de l’entreprise, et voit comme solution l’application du nudge au sein même de l’entreprise.

Le Vice-Président de Google, dans une optique d’accélération de l’égalité hommes-femmes, relaie, avant les périodes de promotion interne, à ses équipes deux études indiquant que « les femmes lèvent moins la main que les hommes et partagent moins leurs idées en réunion alors qu’elles ont des idées meilleures que celles de leurs collègues masculins ». Résultat : le taux de candidatures de femmes augmente7.

Le Boston Consulting Group a développé un nudge numérique8 pour rappeler, opportunément à ses collaborateurs, la politique du groupe en matière d’organisation du travail. Lorsqu’un salarié s’apprête à envoyer un e-mail en dehors des horaires de travail, une notification apparait afin de lui offrir le choix entre, retarder l’envoi au prochain jour travaillé, l’envoyer tel quel ou annuler l’envoi.

Mise en abyme : « la déclinaison de nudge en soi et pour soi »

Utilisé au sein même d’une organisation pour améliorer la performance de ses membres, le potentiel de l’approche comportementale est tel qu’il peut également servir à la mise en œuvre et l’accompagnement de grands projets de transformation : optimisation de processus et d’organisation, mise en place d’un nouvel outil ou produit informatique, pilotage et suivi d’un programme, conduite du changement, etc.

Dans ce contexte, l’utilisation de nudge constitue un complément idéal aux méthodologies et boites à outils utilisées au sein des entreprises pour mener à bien leurs mutations : que ce soit, pèle mêle :  le lean, l’agilité, le design, etc. Leur mise en place a vocation à permettre de « faire les 10 derniers mètres nécessaires » vers une transformation réussie.

Voici plusieurs exemples de champs d’application d’incitations douces, testés et approuvées par le collectif onepoint :

LA PRISE DE DECISION, UN SPORT A RISQUE

La prise de décision, au cœur d’un environnement « par essence » incertain, est un sport à risque, notamment lors des phases de cadrage ou d’arbitrage stratégique sur les suites à donner à un programme de transformation d’envergure. Tout décideur, si compétent qu’il soit, est exposé à l’influence des biais cognitifs. La mise en place de mécanismes et routines, visant à s’assurer que « l’architecture du choix » correspond aux valeurs de l’entreprise et à l’avis du collectif, s’avère essentielle, afin de limiter le risque de « commettre une terrible erreur », comme le souligne Olivier Sibony, dans son ouvrage du même nom9.

Un projet de recherche a été mené par onepoint en collaboration avec un acteur bancaire pour sensibiliser le management aux biais cognitifs et « améliorer la logique des intuitions ». Mis en place afin de cibler les erreurs récurrentes selon le corps de métier (développement informatique, ressources humaines, etc.), ce programme de « débiaisage » a permis d’aider les participants à reconnaître certains biais qu’ils rencontrent dans leur environnement professionnel, et à les éviter lorsque cela est possible/souhaitable.

LA CONCEPTION « AUGMENTEE » DE NOUVEAUX PRODUITS ET ESPACES

Qui sont les utilisateurs, quels sont leurs besoins, leurs usages, leurs biais ? 

Ces questions sont cruciales dans le développement de nouveaux produits et solutions numériques. Nous sommes convaincus que l’utilisation du prisme de l’économie comportementale, le plus en amont possible dans les phases de conception a vocation à enrichir le travail des designers (UX et UI). Des phases d’immersion et d’analyse du besoin poussées ont vocation à s’assurer que la façon dont les choix sont présentés et l’ergonomie des interfaces aident les utilisateurs à naviguer vers la direction / service souhaité.

Cette dimension est également clé dans la conception d’espaces de travail. Onepoint a ainsi initié un projet de recherche interne afin de limiter la sédentarité des collaborateurs. Il est prouvé scientifiquement que passer 80% de sa journée assis a un effet sur le stress perçu et constitue une réelle problématique de santé publique.

Pour se faire, les équipes se sont basées sur l’active design, concept fondé sur les principes cognitifs et d’architecture d’espaces, afin de favoriser le bien-être des utilisateurs via l’augmentation de l’activité physique. Plusieurs typologies d’incitations douces ont été déployées : mise en valeur des escaliers en misant sur un accès plus facile et d’avantages de luminosité, la centralisation des espaces communs, un accès par défaut à des bureaux amovibles, gamification de parcours, sensibilisation à travers des éléments d’information sur les bienfaits de la mobilité, etc.

EN SYNTHESE

70% des programmes de transformation se soldent par des échecs10. La principale explication réside dans le fait, que le facteur humain n’est pas pris en compte, à sa juste valeur, dans la mise en œuvre des stratégies de transformation.

Les approches classiques de conduite de changement d’un programme de transformation visent souvent à proposer : un solide plan de formation, du coaching et une campagne de communication dédiée, ainsi que l’identification d’un sponsor au sein du Comité Exécutif. Au final, tous les moyens ont été déployés, le respect du planning a été exemplaire, toutefois les collaborateurs clés ne comprennent, veulent ou ne peuvent pas changer.

Ainsi plutôt que de forcer le changement en s’attaquant frontalement aux points de blocages, la mise en place d’incitations douces rend indolore le changement en libérant chacun du coût qu’il implique et l’invite à s’engager pour devenir acteur.

La mise en abyme des principes de l’économie comportementale, au cœur des organisations, en complément des corpus méthodologiques existants, apparaît comme une solution efficace pour influer sur la transformation et faire face aux défis présents et futurs : sécurité et notamment la lutte cybercriminalité, déclinaison d’une politique de responsabilité sociale, environnementale, économique et technologique, la santé sous le prisme de l’observance, etc.

 

Onepoint, architecte des grandes transformations des entreprises et des acteurs publics, fort de son positionnement à la croisée des chemins entre expertise sur la transformation de bout en bout et R&D (Recherche et Développement), vous accompagne sur la déclinaison de ces enjeux :

  • Sensibilisation du top management, notamment dans leurs prises de décision
  • Formation des managers à l’impact des biais cognitifs dans leur quotidien avec les équipes ;
  • Coaching et accompagnement des équipes opérationnelles à la déclinaison de nudges et au suivi de leur efficacité.

 

Sources

  1. Amos Tversky et Daniel Kahneman, « Judgment under Uncertainty: Heuristics and Biaises », 1974
  2. Richard Thaler et Cass Sunstein, « Nudge: Improving Decisions about Health, Wealth, and Happiness», 2008
  3. « Have you been nudged? », https://www.bbc.com/news/business-41549533
  4. Neat Streets campaign by hubbub, https://www.hubbub.org.uk/neat-streets
  5. Etude BVA Nudge unit, « Améliorer le taux de déclarations en ligne », 2014
  6. Eric Singler, « Nudge Management. Comment créer du bien-être, de l’engagement et de la performance au travail avec la révolution des sciences comportementales », Pearson, 2018
  7. Harvard Business review, « Les nudges au service de la conduite du changement », 2017
  8. BCG Perspectives, « The Pervasive Power of the Digital Nudge », 2017
  9. Olivier Sibony, « Vous allez commettre une terrible erreur », Champs, 2019
  10. John P. Kotter, « Leading Change: Why Transformation Efforts Fail », 2007

Auteur : Frederic MERIENNE

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