Banque de détail

Le modèle de banque universelle à la française a permis de faire émerger quatre des dix plus grandes banques mondiales. Avec un taux de bancarisation de l’ordre de 99 % (30 points au-dessus de la moyenne mondiale) et une densité de succursales exceptionnelle (environ 550 succursales pour 1 million d’habitants, soit le second rang européen après l’Espagne), le marché de la banque de détail représente plus de 2 % de la valeur ajoutée créée en France et 1 % de l’emploi privé.

Un modèle de distribution à la croisée des chemins

La banque de réseau, un secteur structurant de l’économie française

Une équation de valeur précaire

La situation économique des banques de réseau est précaire. Dans un contexte de taux d’intérêt structurellement bas et de niveau de croissance du PIB (produit intérieur brut) relativement faible, les revenus de la banque de détail ont aujourd’hui tendance à stagner. Bien que les banques aient lancé de vastes programmes visant à optimiser leurs coûts d’exploitation, le secteur a connu ces dernières années une hausse importance de son coefficient d’exploitation, qui est passé de 63 % en 2014 à 70 % en 2018, les revenus diminuant et les coûts continuant d’augmenter.

Une pression réglementaire

À ce contexte économique relativement défavorable s’ajoute une pression réglementaire de plus en plus forte. Celle-ci pèse sur les résultats des banques à court terme et alourdit une tendance de pression sur les marges déjà engagées depuis plusieurs années. L’année 2018 a été particulièrement dense, en ce qui concerne les contraintes réglementaires, pour les banques. En effet, alors que la plupart des établissements arrivaient au bout de ce vaste chantier qu’était la mise en conformité avec la nouvelle Directive concernant les marchés d’instruments financiers (MIF II) et le Règlement sur les produits d’investissement packagés de détail et fondés sur l’assurance (PRIIP), d’autres projets réglementaires ont dû être lancés :la Directive sur la distribution d’assurances (DDA), la nouvelle Directive sur les services de paiement (DSP2) et le Règlement général sur la protection des données (RGPD). Autant d’investissement et d’efforts fournis par les équipes et les métiers concernés, qui ont dû se concentrer prioritairement sur ces sujets.

Une promesse numérique difficile à tenir pour les banques traditionnelles

L’essor des canaux numériques s’est accompagné d’une augmentation des possibilités de contact, mais les taux de conversion demeurent faibles, et les banques vendent peu de produits financiers en ligne. Alors que les possibilités de contact en succursale s’amoindrissent, les taux de conversion en succursale restent supérieurs à ceux des canaux numériques. Les banques traditionnelles peinent à tirer parti des possibilités offertes par les canaux numériques dans le cadre de leurs stratégies phygitales. Selon ces modèles, qui combinent expérience numérique et distribution en succursale, le rôle de ces dernières reste limité. Elles offrent peu ou pas de réelle révolution, ni l’expérience client ni l’offre de service associée.

Alors que les banques traditionnelles ont investi massivement dans les programmes numériques ces dernières années, elles sont moins innovantes et moins réactives que les nouveaux venus sur le marché, à savoir les entreprises virtuelles, les technologies financières ou les géants du Web.

Face aux contraintes d’optimisation des coûts d’exploitation, les programmes de transformation numérique des banques traditionnelles ont dû répondre à une logique de rendement du capital investi privilégiant l’optimisation des coûts. Ainsi, la mise en œuvre de nouveaux parcours clients numériques a bien souvent été motivée par l’ambition de rapprocher les opérations du client final, afin de favoriser une optimisation de la disponibilité des succursales et le dégonflement nécessaire des services administratifs.

Tout compte fait pour la banque de réseau, la transformation numérique, par la numérisation de l’accès et des utilisations, a ouvert la voie aux nouveaux entrants et a organisé les conditions de sa désintermédiation.

Un modèle à bout de souffle

Alors qu’elles subissent de multiples pressions, tant sur le plan de la réglementation que de la rentabilité, les banques de détail voient aujourd’hui leurs modèles désintermédiés. Aujourd’hui, les banques de détail françaises sont confrontées à un double enjeu :

• rétablir leur rentabilité à court terme dans un contexte de détérioration des ratios d’exploitation;

• repenser leur modèle en profondeur pour faire face à la concurrence des nouveaux acteurs numériques.

À ce titre, la banque de détail en France se trouve à la croisée des chemins. Soit elle s’oriente vers un modèle d’entreprise virtuelle, et risque alors de devenir une commodité, soit elle opte pour un modèle où le client occupe à nouveau une place centrale.

Pendant ce temps, les services bancaires itinérants annoncent la création de réseaux physiques (p. ex., N26, Meilleurtaux, etc.).

Vers un nouveau modèle de travail qui valorise le réseau de succursales comme un actif différenciateur

Des leviers pour tirer parti d’un nouveau modèle de travail perturbateur

Dans ce contexte, un nouveau modèle perturbateur émerge.

Ce nouveau modèle de travail, qui succède au système bancaire ouvert, permet à la banque de détail de se repositionner face à ses marchés et ses clients en mettant de l’avant son réseau de succursales comme actif différenciateur.

Les objectifs de ce modèle sont de doubler le nombre des contacts en succursale et de maximiser le taux de conversion. Il est caractérisé par les sept leviers suivants.

1. Un banquier partenaire et apporteur d’affaires

Selon ce modèle, le directeur de compte est un partenaire et un contributeur commercial, doté de nouvelles ressources locales lui permettant de soutenir les PME dans leur développement.

2. L’apport de l’intelligence artificielle

Dotée de l’intelligence artificielle, une plateforme technologique de mise en relation relie les usages, les centres d’intérêt et les moments de vie des clients (particuliers, professionnels, PME), en plus de reconnaître les communautés d’intérêts locales comme des occasions de vente de nouveaux produits et services pour la banque.

3. Un nouveau modèle client : la communauté d’intérêts locale

Ces acteurs, qui peuvent être à la fois des acheteurs et des fournisseurs, interagissent entre eux et se fournissent mutuellement des services au sein de leurs communautés d’intérêts. En reliant ce réseau d’agents économiques dans une même zone de chalandise, le banquier stimule l’offre et la demande au cœur des territoires et favorise l’augmentation des flux économiques au sein des nouveaux marchés générés.

4. Un incubateur qui accompagne les PME dans les territoires…

Ce contexte fertile fournit à la succursale des éléments tangibles (des clients nouveaux, des flux économiques, des partenaires de développement, un marché plus actif dans lequel proposer ses services) qui lui permettent d’accompagner les petites et moyennes entreprises locales les plus prometteuses. L’incubateur fournit à ces entreprises en démarrage de nouveaux services d’accompagnement, comme l’élaboration de plans d’affaires et d’analyses de rentabilité pour développer l’entreprise, la prestation de services de comptabilité ou de gestion des RH, de services de productivité et de gestion collaborative, l’accès à des services d’approvisionnement temporaire (emplois saisonniers) ou à des possibilités de recrutement de candidats qualifiés.

5. …et profite de la communauté d’intérêts pour augmenter sa productivité commerciale

Une fois active, la communauté d’intérêts agit comme un nouveau segment qui fournit à la succursale une surface de prospection et de contacts multipliés (individus, professionnels), pour une performance commerciale qui maximise la probabilité de vente croisée, de segments croisés, de produits croisés et d’assemblage intervolets. . La communauté d’intérêts offre ainsi à la succursale un nouveau canal d’accès à des moments de vie et des clients potentiels qualifiés, et dont le taux de conversion plus élevé attendu est dû à la nature relationnelle (et non transactionnelle) de l’échange.

6. La territorialisation des succursales qui comble des « zones blanches » de services

En même temps, la succursale bancaire devient un lieu physique pour l’animation de ce réseau localisé d’acteurs et se dote d’une gamme d’offres relatives à la santé, à la distribution, à la culture, etc., qui peuvent être intégrées à un écosystème de partenaires (p. ex., kiosque libre-service médical), pour ainsi transformer la succursale bancaire en « carrefour de services » pour le public avoisinant la succursale.

Au niveau de la banque, la répartition géographique de ces nouveaux services fournis par les nouvelles succursales de « centre de services » est optimisée grâce aux capacités analytiques de la plateforme technologique équipée d’intelligence artificielle, qui localise le développement de ces services en comblant certaines zones blanches au sein des territoires.

7. La succursale, remise au cœur d’une stratégie d’émulation du tissu local

Dans ce modèle, le banquier partenaire et contributeur commercial joue un rôle d’émulation du tissu entrepreneurial local, stimulant l’activité et l’emploi, et contribuant à aménager dans le territoire de nouveaux services à l’intention du public.

Le réseau de succursales et ses implantations physiques sont l’atout central de cette nouvelle stratégie bancaire, qui replace de nouveau la banque face à ses clients, dans un positionnement différencié qui retrouve la raison d’être originale de la banque de détail.

Ce modèle de travail, le ConnectBanking, est caractéristique de l’ère post-numérique des plateformes, qui crée de nouveaux marchés dans lesquels l’activité et le rapport qualité-prix sont nourris de nouveaux équilibres avec les écosystèmes (ici économiques, territoriaux et sociétaux).

Auteur : Laurent Hellé

Partner banque & Afrique francophone