One Step Beyond Resilience – Episode 1 : LE DECLIC

Les modes de fonctionnement et rôle de l’entreprise ont complètement été remis en perspective par la crise sanitaire mondiale que nous vivons : déploiement massif du télétravail, accélération des usages collaboratifs et digitaux, prédominance des notions de bien-être et de recherche de sens.

Autant d’éléments qui ont percuté les croyances et enjeux de transformation des entreprises, soulignant parfois leur manque de flexibilité ou au contraire valorisant leurs capacités d’adaptation.

CONTEXTE – LA CRISE SANITAIRE

Devant la facilité ou au contraire les difficultés à s’adapter dans ce contexte si particulier, nous nous sommes interrogés sur les facteurs qui favorisent la résilience d’une entreprise dans un contexte en perpétuelle évolution. Quels sont les éléments qui favorisent l’adaptabilité et l’agilité d’une entreprise ? Comment les modèles managériaux reposant sur des rituels processés, une mise à disposition de moyens et une organisation matricielle, actuellement majoritaires dans le monde, doivent-ils évoluer ?

Commençons par un paradoxe : si ces approches que l’on qualifie aujourd’hui de « traditionnelles » sont de plus en plus décriées, ce sont bien elles qui restent à l’origine de la création de valeur dans les pays générant l’essentiel de la croissance mondiale (Chine, Inde, Brésil…). Les nouveaux modèles d’organisation et l’innovation managériale ne sont donc pas une évidence pour toutes les entreprises, et semblent apporter autant d’illusions que de solutions. Alors, véritables remèdes ou simples mirages ?

De nouveaux modèles hétérogènes dans l’entreprise

Au regard de l’hétérogénéité des nouveaux modèles et des variantes développées par les entreprises elles-mêmes, comment trouver des réponses pour gagner en efficacité et résilience ? Doivent-ils nous inspirer ? Quels sont les points communs entre tous ces modèles et entreprises qui favorisent l’adaptabilité ? Et sont-ils transposables à toutes les entreprises ?

Depuis 20 ans, les efforts de nombreuses entreprises convergent vers une quête de flexibilité, d’agilité, de simplicité, de performance dont nous sommes les témoins :

  • développement des méthodes agiles au sein des DSI comme à la SNCF ou chez Suez,
  • transformation de grands groupes comme Engie où une partie des effectifs travaillent depuis plusieurs années dans une organisation holacratique, ou encore
  • développement des expérimentations en matière d’organisation chez Thalès.

La crise actuelle agit comme un catalyseur et un accélérateur du questionnement sur le fonctionnement des formes d’organisation. La quête s’accélère.

Ainsi, les repères en termes de critères de réussite et d’attractivité sont chahutés et les entreprises se recentrent sur une « ressource » clé : l’humain. Dans le même temps, de nouvelles attentes de la part des travailleurs et des étudiants émergent : ils recherchent davantage de sens, d’autonomie, de confiance et de flexibilité dans leur environnement de travail. ​

​De nombreuses études montrent une corrélation nette entre la satisfaction des membres d’une entreprise et sa performance :  une entreprise dont les salariés se déclarent « épanouis » est 43% plus productive que la moyenne, d’après Bloom At Work.  De plus, 90% des salariés pensent que la qualité de vie au travail contribue à l’amélioration des résultats financiers. L‘épanouissement des collaborateurs n’est donc pas qu’une question d’image mais bien un critère de performance qui favorise le développement et la pérennité de l’entreprise. ​

Un nouveau paradigme pour les entreprises

Ce paradigme émergent souligne également la nécessité d’une remise en cause de la structure des organisations et de leurs modes de fonctionnement. Convaincus de leur pertinence dans le contexte actuel et de leur potentiel futur, nous avons donc analysé plus de 20 modèles, philosophies ou structures innovantes, indépendamment du nom qui leur a été attribué (altruistes, libérées, holacratiques, responsabilisantes, etc.). L’objectif de cette analyse ? Identifier les caractéristiques clés de ces organisations, dont l’historique démontre leur capacité à résister face à des perturbations économiques majeures. ​

Cette découverte d’entreprises ayant entamé une transformation structurelle, organisationnelle et surtout humaine, s’articule en 4 épisodes. Dans le premier, nous verrons pourquoi certains leaders ont eu le déclic de muter vers de nouvelles organisations, favorisant la résilience et l’agilité…et plus précisément comment ce déclic a fait naître une nouvelle conception du leadership qui impacte inéluctablement les rôles des dirigeants et des managers.  Car si certains modèles suggèrent la suppression pure et simple des managers, la réalité sur le terrain est bien différente…

LA PRISE DE CONSCIENCE DU DIRIGEANT

Premier constat, il semble que toute transition vers de nouveaux modèles managériaux cassant les codes de la hiérarchie pyramidale passe d’abord par une montée en conscience d’un ou plusieurs dirigeants : ce sont eux qui vont impulser la dynamique de transformation. Auparavant, ils ont constaté les limites économiques, organisationnelles et humaines de leurs modes de fonctionnement actuels, se sont interrogés sur d’autres voies possibles et sont partis à la recherche de nouvelles approches.

C’est le cas de cette directrice d’hôpital interrogée par Frédéric Laloux, pour qui le déclic s’est produit un soir en trouvant ses infirmiers attendant en rang devant la pointeuse 15 minutes avant l’heure de départ autorisée. Ce détachement, interprété dans ce contexte comme un manque d’engagement de la part d’employés ayant pourtant choisi ce métier par vocation, l’a profondément choquée puis poussée à s’interroger sur ce qu’elle pourrait changer afin de réengager ses équipes.

La fin du rôle classique du dirigeant « donneur d’ordres »

À la suite de cette prise de conscience, dans l’ensemble des modèles et entreprises étudiés, les dirigeants ont volontairement souhaité s’éloigner du rôle classique du « donneur d’ordres » surveillant-valideur, le plus courant dans les entreprises matricielles. Source de lourdeurs dans les processus, inhibant en matière de créativité, réduisant le sentiment d’autonomie et de responsabilité des collaborateurs, cette vision du leadership ne répondait plus à leurs attentes ni aux besoins de leurs employés.

Tous se sont tournés vers un modèle managérial plus responsabilisant et engageant pour leurs équipes, évoluant naturellement vers une responsabilité partagée : le dirigeant n’est alors plus le seul à fixer des objectifs, à construire des budgets ou à proposer des promotions : tout ou partie des collaborateurs sont associés aux réflexions stratégiques et managériales. On notera tout de même :

  • Que le dirigeant conserve certains rôles : en fonction des modèles étudiés, il reste souvent le représentant de l’entreprise auprès des interlocuteurs extérieurs, voire l’acteur finalement décisionnaire (une fois les collaborateurs consultés et impliqués dans les processus décisionnels)
  • Que l’évolution de cette notion de leadership se concrétise par l’émergence de deux nouveaux rôles dans les organisations étudiées : le dirigeant porte la raison d’être de l’entreprise en l’incarnant au quotidien et protège le modèle en fixant le cadre & en orientant ses évolutions.
Visuel décrivant l'illustration Chronoflex

LE RÔLE DU MANAGER REMIS EN QUESTION

Si l’évolution du rôle du dirigeant semble provenir d’une prise de conscience personnelle, il n’en est pas de même pour les managers intermédiaires qui se retrouvent souvent dans une situation difficile : celle de devoir porter une transformation sans avoir une idée précise de leur futur rôle dans la nouvelle organisation. Comme pour le dirigeant, tous les modèles tendent à s’éloigner du rôle traditionnel de « surveillant-valideur », sans apporter tout de suite de réponse précise sur le rôle vers lequel les managers doivent évoluer. Cette absence de cadre clair se traduit par de nombreuses expérimentations au sein des entreprises opérant ce type de transformation.

L’approche itérative « test & learn » semble être la norme dans la plupart des modèles, qui font progressivement évoluer le rôle de ces managers de manière concertée pour aboutir finalement à un modèle managérial adapté à la réalité du terrain.

Des « entreprises libérées »

Ce fut le cas pour FAVI et Chronoflex, considérées comme des « entreprises libérées » (voir Liberté & Cie, Isaac Getz) : elles ont dans un premier temps supprimé le rôle des managers…avant de se rendre compte qu’une partie des tâches assumées par ces derniers (relayer les décisions, recruter, planifier l’activité…) n’étaient en conséquence plus assurées dans leur nouveau système transversal ! Ces premiers tests, riches en apprentissages, leur ont permis de réfléchir à une autre façon de répartir ces responsabilités. Elles ont ainsi choisi de réintroduire des postes de « leaders cooptés » chez FAVI ou de « capitaines » chez Chronoflex : si ces nouveaux rôles reprennent une partie des actions des anciens managers, ils comportent une différence majeure de posture, qui se rapproche plus du « coach » que du « chef ».

L’objectif du leader ou du capitaine, dans ces modèles, devient d’assurer la dynamique d’intelligence collective nécessaire au bon fonctionnement de l’organisation transversale. Chacune a ainsi trouvé une solution adaptée à sa structure.

Autre exemple : Brian Robertson, dirigeant d’une entreprise de production de logiciels (Ternary Software), a formalisé le fruit de plusieurs années d’expérimentations sous le terme d’organisation holacratique, modèle qui a depuis séduit d’autres entreprises dans le monde (France, Grande-Bretagne, Allemagne, Nouvelle-Zélande…). Concrètement, l’Holacratie est un modèle proposant de faire évoluer le rôle du manager. Cette organisation s’appuie sur un système d’autorité distribuée au sein de cercles multiples. Au sein de ces derniers, les redevabilités de chaque rôle sont précises et connues de tous. La structure cellulaire favorise ainsi la prise de décisions qui s’imposent localement et en toute autonomie, sans avoir à en référer à une hiérarchie éloignée du terrain. Le rôle de validation des managers devient structurellement obsolète dans ce modèle !

Visuel décrivant le cas de l'entreprise Scarabée Biocoop

UN NOUVEAU LEADERSHIP POUR FAIRE LE LIEN ENTRE ÉPANOUISSEMENT INDIVIDUEL, ENGAGEMENT ET PERFORMANCE COLLECTIVE

Si l’holacratie propose une distribution du rôle de manager, d’autres entreprises ont aussi bouleversé les codes du leadership traditionnel pour proposer leurs approches. C’est le cas de Barry Wehmiller : fondée en 1885, il s’agit d’un fournisseur mondial de technologies et de services de fabrication. Il a réalisé depuis 1975 plus de 90 acquisitions sur son secteur, dont certaines en grande difficulté et sans en revendre aucune. Fortement endettée en 1985, elle a progressivement et entièrement réinventé sa conception du leadership sous l’impulsion de son emblématique CEO Bob Chapman.

Persuadé que l’humain était le facteur clé de la pérennité et de la performance de son entreprise, il a engagé un dialogue avec de nombreux groupes de collaborateurs. De cette réflexion collaborative a émergé une liste de comportements managériaux idéaux s’inscrivant dans une culture d’entreprise idéale, l’ensemble cristallisé dans des « Guiding Principles of Leadership ».

Ces derniers encouragent les leaders à instaurer un environnement basé sur la confiance, dans lequel le rôle de chacun doit être valorisant et stimulant. L’engagement et la réussite de chacun y sont collectivement célébrés. Le tout est conduit par la vision de l’entreprise :

We measure success by the way we touch the lives of people

En 2003, dans le but de soutenir sa transformation de culture et face au succès de son modèle, l’entreprise a lancé un institut d’apprentissage interne, l’Université Barry-Wehmiller. Elle propose des cours de leadership, d’écoute, de renforcement de l’empathie, de création d’un état d’esprit de service et plus encore, pour les membres de son équipe et de nombreux managers externes.

Vision humanistico-utopique du leadership ? Cette conviction a pourtant permis à l’entreprise d’améliorer sa résilience et in fine ses performances : le taux de croissance moyen annuel de l’entreprise tourne autour de 18% depuis 1987 et le rendement de ses actions a grimpé pendant 16 ans à un taux annuel de 15,5%.

Pendant la crise de 2008, l’entreprise a connu un ralentissement de son activité de 35%. La solidarité et la confiance mutuelle instaurées par le leadership ont permis de rapidement trouver des solutions : réduction des bonus, diminution drastique du salaire du PDG, congés sans solde… pour repartir, collectivement, de plus belle.

En offrant une autre vision du leadership co-construite avec ses équipes, Bob Chapman montre que la co-construction du rôle du manager est possible. Et qu’au-delà d’être viable économiquement, la conception du leadership développée par l’entreprise permet une grande résilience de la structure dans un contexte de crise.

En synthèse : le rôle du leadership

Le leadership est le facteur-clé des projets de transformation des entreprises : reflet de ses orientations stratégiques et de sa culture, ses leaders en sont ses porte-paroles. Il a un impact majeur sur l’engagement des collaborateurs, et donc sur les performances. Qu’il soit dirigeant ou manager intermédiaire, chacun a la responsabilité d’accompagner ses équipes dans l’acculturation à ce changement, afin qu’il soit efficient, efficace et vécu positivement par les collaborateurs.

Les entreprises observées ayant entamé une transformation vers un fonctionnement plus agile et résilient ont lancé leur exploration avec une prise de conscience, un déclic. Celui-ci s’est ensuite accompagné par une redéfinition des postures managériales pour gagner en adaptabilité tout en responsabilisant les collaborateurs, qui vivent davantage les conséquences, positives ou négatives, de leurs actions.

Revoir sa conception du leadership est une étape cruciale et déterminante qui est le fruit d’un apprentissage concret que nous approfondirons prochainement. Si le rôle du dirigeant semble assez clair et structuré, celui des managers tend à se construire selon de nombreux facteurs liés aux spécificités de l’entreprise et de son terrain de jeu.

Cependant, cette nouvelle forme de leadership n’est qu’un facteur parmi d’autres et ne se suffit pas à elle-même. Quels sont les éléments qui permettent aux entreprises d’animer concrètement ce changement ? Quels sont les modes de fonctionnement auxquels il faut prêter attention pour profiter d’une meilleure résistance face aux aléas du marché, conduites par de fortes valeurs humaines ?

La réponse à ces questions dans  Episode 2 : L’ORGANISATION , où nous traitons du processus de transformation vécu par les entreprises analysées.

 

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Auteur : Aurore Collumeau

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