Des villes en transition : donner une place à chacun

Retour sur le colloque « Peut-on encore sauver la Ville ? » organisé par Onepoint. Ce dernier rassemblait élus, essayistes, chercheurs, opérateurs le 7 novembre 2023, pour débattre de cette question.

La question pouvait paraître un peu provocatrice, mais chez Onepoint, nous ne craignons pas de bousculer les esprits. A travers 2 thématiques autour des paradoxes liés à la préservation de la nature, et de l’appropriation des nouveaux usages, nos invités fortement impliqués sur ces sujets ont croisé leurs visions. Ils ont débattu des enjeux démocratiques liés à la transition écologique et mis en exergue la nécessité d‘une collaboration étroite entre tous les acteurs, depuis les plus hautes instances politiques, jusqu’au citoyen.

(Ré)concilier préservation des espaces naturels et nécessité d’aménagement

Le débat sur la préservation des espaces naturels et l’adaptation au changement climatique a réuni Robin Rivaton, essayiste, auteur et entrepreneur, Jean Baptiste Blanc, sénateur rapporteur de la loi ZAN, Gilles Carrez, ancien député et ancien secrétaire général du Groupe Central des Villes Nouvelles, Alain Bourcier, Vice-Président de Nevers Agglomération.

Le sujet était évidemment complexe : préserver les espaces naturels car ils constituent un élément essentiel d’adaptation au changement climatique, c’est une évidence pour tous.

Dans le même temps, l’évolution démographique française appelle à continuer de construire. Et on parle ici non seulement de logements, mais aussi des services qui vont avec : transports, infrastructures scolaires, culturelles et sportives, commerces, etc.

Loi ZAN : « une potentielle dégradation des conditions de vie des Français » selon l’essayiste Robin Rivaton

La loi ZAN[1] (Zéro Artificialisation Nette) vise à freiner le rythme de consommation d’espaces naturels et donc à interdire toute artificialisation nette des sols sur une période donnée. Cela n’implique pas nécessairement l’arrêt total de l’artificialisation de nouveaux espaces. Cependant, celle-ci sera conditionnée à une renaturation à proportion égale d’espaces artificialisés.

Robin Rivaton pose franchement le débat en pointant les impacts négatifs de cette loi sur la production de logements individuels et collectifs. Son corollaire : une potentielle dégradation des conditions de vie des Français et la création d’un sentiment de frustration pouvant mener à une crise sociale d’ampleur. A-t-on vraiment envie d’une nouvelle poussée de type gilets jaunes ?

Jean Baptiste Blanc, rapporteur de ladite loi, est bien conscient du bouleversement sans précédent qu’elle provoque sur le secteur de l’immobilier. Il a d’ailleurs déjà mené plus de 60 sessions d’explication en région. Il en rappelle les origines (convention citoyenne pour le climat), ainsi que le fond centralisateur qui amène l’Etat à légiférer sur ces questions.

L’ancien député Gille Carrez dénonce l’uniformisation des directives et appelle à la confiance locale

Gilles Carrez, figure de proue de la vie politique française avec son passé d’ancien député et ex-secrétaire général du Groupe Central des Villes Nouvelles [2], a une connaissance profonde des enjeux de l’aménagement du territoire et de la relation entre l’État et les collectivités locales.

Fort de son expérience, il donne à la discussion un tour politique en critiquant l’Etat pour cette tendance à imposer des directives aux collectivités locales, sans leur permettre de les ajuster en fonction des particularités de leurs territoires respectifs. Il a donc regretté ce mouvement descendant, considérant à cet égard, que l’uniformité des directives entrave la prise en compte de la diversité des territoires français, et que la problématique est aggravée lorsqu’on touche à des sujets aussi sensibles que le logement.

Dans un pays aussi varié que la France, espérer traiter de la même manière les métropoles et la ruralité ou les petites communes, est selon Gilles Carrez un non-sens. Il a donc plaidé pour recréer un lien de confiance entre l’État et les pouvoirs locaux, qui seuls ont la connaissance fine de leur territoire, avec ses forces et ses faiblesses. Quitte à devoir en contrepartie rendre des comptes.

Loi ZAN : une opportunité de transformation territoriale pour le Vice-Président de Nevers Agglomération

Alain Bourcier, vice-président de Nevers Agglomération, propose de sortir de l’opposition Etat/Collectivités locales, avec autre perspective d’évolution. Selon lui, la loi ZAN émane d’une bonne initiative. Elle offrirait ainsi une excellente opportunité de repenser l’évolution du territoire dans sa globalité. Alain Bourcier privilégie donc, et c’est une nécessité, une approche holistique englobant le logement, l’environnement, les transports, mais aussi le potentiel économique à chaque échelle.

Alain Bourcier a en outre souligné que la politique d’aménagement du territoire français ne tient plus compte des enjeux liés à l’emploi, pourtant intimement liés au logement. Cette réalité doit être intégrée, sous peine d’augmenter les disparités entre les villes du centre de la France, et celles de l’Ile de France et des régions côtières.

Le territoire ne peut être bâti qu'en cohérence avec sa capacité à produire de la richesse -

Alain Bourcier - Vice-Président de Nevers Agglomération

Deuxième table ronde : « Appropriation des nouveaux usages : solutions pour une transition accélérée »

Avec Marion Apaire, Directrice de l’Urban Lab de Paris & co, Yann Dubosc, Maire de Bussy St Georges, Claire Baritaud, Experte et ancienne directrice de l’Agence pour l’Innovation dans les Transports, Antoine du Souich, Directeur de la Stratégie et de l’Innovation de la Solideo, Mauna Traikia, Conseillère territoriale développement numérique de CA Plaine Commune Grand Paris

La ville, épicentre de la transition pour Marion Apaire

Passant de l’aménagement aux solutions, la deuxième table ronde est introduite par Marion Apaire, directrice de l’Urban Lab de Paris & co. Elle nous a rappelé que la ville est le lieu de la transition par excellence : elle concentre l’ensemble des enjeux, mais aussi des opportunités.

Selon elle, le défi majeur réside dans la création d’une densité urbaine désirable. Pour ce faire, il importe d’adopter une approche réfléchie sur deux fronts distincts. D’abord, sur le plan technologique, il est crucial de mesurer l’utilité et l’impact des solutions. Ensuite, sur le plan humain, il est essentiel de considérer les caractéristiques propres à chaque territoire, rejoignant en cela les discussions de la première table ronde. Et pour être efficace, elle conseille de procéder par étapes : tester, ajuster, accepter le droit à l’erreur et recommencer après une évaluation attentive, c’est incarner intelligence et agilité dans l’action.

Projet hydrogène à Bussy St Georges : « un modèle ambitieux pour une transition énergétique inclusive »

Dans son engagement en faveur de la transition énergétique, le maire de Bussy St Georges, Yann Dubosc, a dévoilé un modèle ambitieux à travers son projet de hub hydrogène. D’ici 2026, la ville accueillera une station multi-énergies, ainsi que le plus grand site de production d’hydrogène vert de la région. Pour assurer une avancée significative dans les projets de transition, il a souligné l’importance cruciale d’une implication à grande échelle de tous les acteurs, y compris des citoyens.

Conçu en collaboration avec Onepoint, le projet vise à positionner la ville Bussy Saint George comme le centre hydrogène de l’Est francilien. Cette ambition repose sur un programme industriel innovant, générateur d’emplois, et sur la mobilisation d’un écosystème territorial complet. Cela inclut, entre autres, le développement d’un réseau de distribution et formation pour structurer et développer la filière.

Le projet a, par ailleurs, permis d’explorer également des modèles économiques et sociaux innovants, avec la participation active des particuliers par le biais d’une entrée au capital des entreprises de la filière qui s’implantent dans la région.

Repenser l’intermodalité des transports dans une ville en mutation

Lors de la discussion sur l’évolution des transports au sein d’une ville en mutation, Claire Baritaud, experte et ancienne directrice de l’Agence pour l’Innovation dans les Transports, a souligné l’importance de repenser l’intermodalité. Et c’est particulièrement crucial lors de l’introduction d’un moyen de transport de masse sur un territoire, avec des impacts sur la gestion foncière, comme observé à St Malo et Avignon.

L’étalement urbain est une caractéristique française, contrairement à nos voisins européens qui ont des pôles urbains plus concentrés. Le véhicule automobile individuel restera donc la norme pendant encore longtemps. Cependant, Claire Baritaud prend soin de souligner la nécessité de prendre en compte l’impact social et environnemental de chaque mode de transport au même titre que l’impact carbone. C’est ainsi selon elle, que l’on favorisera prise de conscience et implication citoyenne.

Les enjeux de neutralité carbone, résistance au changement climatique, économie circulaire, biodiversité, inclusion, demandent de beaucoup échanger avec les usagers des nouvelles infrastructures et les habitants des territoires

Antoine du Souich - Directeur de la Stratégie et de l’innovation de la Solideo

Jeux Olympiques de Paris 2024 : « un formidable accélérateur des transformations. »

Sur le territoire de Plaine Commune, l’évènement majeur des JOP2024 constitue un formidable accélérateur des transformations. C’est l’opportunité de travailler sur un grand projet à impact fort, de tester et d’appréhender en même temps les notions de résilience, de confort en ville, de neutralité carbone, d’économie circulaire…

Interrogé par Mauna Traikia, Antoine du Souich nous explique que pour adresser les enjeux de compréhension et d’adhésion qui en découlent, la Solideo et la CA Plaine Commune ont récemment mis en place le programme ECO-citoyen. En y rassemblant acteurs économiques, élus et habitants, ils entendent mettre l’humain au centre du débat, tout en questionnant au passage la place du numérique et son rôle fédérateur.

« Oui, la ville peut être sauvée » selon Benoist Apparu

La table ronde s’est clôturée sur un discours optimiste du maire de Châlons en Champagne et Président d’Emerige, Benoist Apparu.

On ne sauvera pas la ville sans le citoyen mais c’est aussi le rôle des pouvoirs publics de trancher dans l’intérêt commun

Benoist Apparu - Maire de Châlons en Champagne et Président d’Emerige

Repenser l’aménagement urbain : vers une verticalité nécessaire

Revenant sur les sujets d’aménagement, Benoist Apparu note que l’adaptation au changement climatique n’est pas une option. Elle implique nécessairement, selon lui, de limiter l’étalement urbain, jusqu’ici responsable de 42% des émissions de gaz à effet de serre. Il va donc falloir apprendre à développer l’humanité sur le plan vertical, alors que cela fait 10 000 ans qu’on le fait sur un plan horizontal ! Indépendamment des imperfections de la loi ZAN, c’est une direction qu’il faut prendre.

Défis démographiques et construction verticale

Par ailleurs, la France va continuer pour au moins 40 ans à se développer démographiquement. Cela impliquera de construire davantage alors même que le foncier se raréfie. Là encore, pour Benoist Apparu, une partie de la solution est dans la verticalité. Encore faut-il la rendre acceptable. Et c’est là que de nouvelles difficultés surgissent. Aucun habitant ne rêve en effet de nouveaux voisins arrivant en masse, oubliant qu’il a lui-même tant désiré la construction de ce pavillon ou de ce nouvel appartement. Le citoyen a pourtant pleinement sa place dans les projets de territoire intelligent. Citons par exemple celui de Connecte Châlons, qui démarre actuellement et dont la plateforme Provoly de Onepoint sera une des briques structurantes.

Harmoniser l’action de l’État et des territoires

Mais le rôle d’un élu est autant de guider que de suivre, de regarder les besoins dans 20 ou 30 ans. Et d’aller potentiellement à l’encontre des désirs (souvent contradictoires) des citoyens sur certains projets.

Loin d’opposer État et territoires, Benoist Apparu plaide pour un État moteur, créateur de stratégies, collaborant avec des territoires forts à qui on laisse les mains libres pour les mettre en œuvre. En somme conclut-il, la ville peut être sauvée, avec le concours d’élus qui assument leurs rôles, en associant co-construction et fermeté dans l’application de ce qui aura été construit.

Auteur : Christine Le Brun

Experte smart cities & places