Grands espaces et territoires intelligents : le numérique a-t-il sa place dans la nature ?

Si les voyages forment la jeunesse, ils questionnent aussi parfois nos certitudes. J’ai été profondément marquée par la découverte de l’Islande, au point de douter du sens de mon métier de « leader territoires intelligents et durables ». Pourtant, une application locale, road.is, m’a permis de réduire le décalage ressenti. Simple mais très pertinente, elle a mis en évidence les principes qui guident mes missions : responsabilité, pragmatisme, sobriété numérique.

« Pourvu que le smart ne vienne jamais jusqu’ici… »
Reynisfjara, photo Christine Le Brun

L’Islande, un territoire à préserver des initiatives smart ?

L’été dernier, j’ai découvert l’Islande. Trois semaines de nature brute, de paysages fascinants où je me suis sentie ailleurs, et toute petite. Quand je dis ailleurs, ce n’est pas loin de ma Bretagne, ou de la France, mais loin de tout, et même de la planète Terre. Dans ce pays, le feu côtoie la glace, les vagues dessinent des arabesques blanches sur le sable noir, le vent semble missionné pour créer des percées de soleil qui illuminent les fjords. Ce fabuleux décor a apaisé mon esprit, et même toute ma personne.

Dans ces immensités le plus souvent désertes, je me sentais bien loin de mes centres d’intérêt professionnels. Travailler sur les territoires dits « intelligents » c’est réfléchir sur la place de l’humain dans la ville, et sur la ville au service de ses citoyens. C’est exploiter beaucoup de technologie, des réseaux, des objets connectés, de la data, de l’intelligence artificielle pour imaginer les services de demain.

Ce sont généralement des sujets passionnants. Mais face au fjord de Neskaupstaður je me disais : « pourvu que le smart ne vienne jamais jusqu’ici, que rien ne change jamais, car tout est déjà parfait ! » Réflexe peut-être un peu rapide et un brin égoïste d’une citadine en vacances et en manque de nature…

D’ailleurs, les notions de ville ou de territoire intelligent avaient-elles du sens ici ? Dans ces espaces, l’air semble très pur, les problèmes de sécurité et de mobilité n’existent pas ou si peu, pas plus que les ilots de chaleur. Tous ces enjeux sur lesquels nous sommes consultés régulièrement me semblaient sans objet.

Sur les routes d’Islande, photo Christine Le Brun

Road.is, une application vraiment utile

En milieu de séjour, pour vérifier l’accessibilité d’un itinéraire passant par le centre du pays, j’ai testé Road.is. C’est le site de référence qui informe en temps réel sur l’état des routes. En effet en Islande, les conditions météo changent rapidement et de manière parfois violente. Une simple balade dans les collines peut facilement se transformer en véritable expédition. Tout le monde utilise donc cette application qui vous est fortement recommandée dès l’instant où vous récupérez votre voiture de location.

Très ergonomique, elle regroupe sur une carte quelques couches de données simples (types de routes/pistes, aires de repos, webcams) et les croise avec des informations temps réel. La météo (température, sens et direction du vent, taux d’humidité), et le comptage de véhicules (combien sont passés dans le dernier quart d’heure, combien dans la journée, et ce dans les 2 sens) sont intégrés. Ceci permet au voyageur de se faire rapidement une idée précise de l’état de la route qu’il souhaite emprunter et de prendre une décision éclairée.

Évidemment pour que cela fonctionne et soit fiable, des objets connectés et un réseau de qualité sont nécessaires. De ce côté, j’ai pu constater que la couverture est excellente, même dans des endroits très reculés. Pour autant, les infrastructures restent très discrètes.

Capture d’écran de l’application road.is

C’est dans l’usage que se niche l’intelligence

La découverte et le décryptage de cette application m’ont ainsi permis de réduire ce que je percevais comme un écart entre mes convictions, mon quotidien professionnel, et mon ressenti au contact de la nature dans sa toute-puissance.

Road.is illustre selon moi une forme de « démarche smart » du territoire. On concentre les efforts techniques sur un socle réseau fiable, puis on développe des cas d’usage pertinents qui s’appuient sur celui-ci. Pas difficiles à développer, mais d’une utilité publique incontestable pour les citoyens, comme pour les équipes d’entretien et de secours. C’est la mise en œuvre d’une intelligence pragmatique, d’une utilisation éclairée de la technologie au service des besoins, parfois vitaux, de la population.

Mon quotidien professionnel se construit de la même manière : comprendre les problématiques de chaque territoire, m’en imprégner pour fournir une réponse équilibrée.

Le numérique, sous toutes ses formes et à travers la multitude de solutions qu’il rend possibles, apporte beaucoup aux organisations : sur la connaissance du fonctionnement de la ville, son pilotage, dans la relation avec les citoyens.

La technologie permet aujourd’hui de proposer des solutions complètes, variées, innovantes. Pour autant, des objets aussi sophistiqués (et coûteux) que par exemple un hyperviseur, ou un jumeau numérique 3D, ne sont pas nécessaires dans toutes les situations. A fortiori dotés de modules d’intelligence artificielle ! Pour répondre parfaitement à un besoin, inutile d’en faire trop, ni de tout bouleverser.

Dans un contexte de sobriété numérique , il faut faire, non parce que c’est possible, mais parce que c’est adapté. La question de fond est de trouver le juste niveau de technologie qui réponde à la problématique. Pour cela, il est essentiel d’exploiter au mieux ce qui fonctionne et est déjà en place (que ce soient des outils, des données ou des méthodes). Il faut éviter de sur-instrumenter ou suréquiper en solutions dites intelligentes. D’une part parce que le numérique a un coût, et qu’on parle ici de finances publiques ; d’autre part parce que ce coût est aussi écologique.

C’est ainsi que j’appréhende mes missions : capitaliser sur l’existant, répondre au besoin au plus juste, de manière pragmatique et responsable.

« Dans les territoires naturels ou urbains, la place du numérique est toujours une question d’équilibre », photo Christine Le Brun

Dans les territoires naturels ou urbains, la place du numérique est toujours une question d’équilibre

Finalement, en Islande ou ailleurs, tout ne serait-il pas une question de mise en perspective ? Il ne s’agit pas d’opposer ou de choisir entre nature et numérique. Au contraire, l’éventail des solutions et des possibilités offertes par les technologies digitales au service des territoires est immense. Il suffit d’y puiser de manière rationnelle et pertinente. L’enjeu ? De l’innovation bien sûr, mais de l’innovation utile !

Si un jour j’ai la chance de travailler sur un projet en Islande, je serai très heureuse de revenir dans ce pays qui m’a profondément marquée. Et ces convictions seront dans mon esprit à chaque instant pour me rappeler à quel point un tel voyage est loin d’être anodin. Il transforme les voyageurs, mais aussi les professionnels.

Auteur : Christine Le Brun

Experte smart cities & places