L’orthorexie ou l’obsession de manger sainement

Au XXIème siècle, un nouveau trouble de l’alimentation apparaît : l’orthorexie. Ce trouble se caractérise comme une obsession de manger sainement. Les personnes atteintes d’orthorexie n’ingèrent que les aliments qu’elles estiment « purs » et « sains » pour leur santé.

Les personnes atteintes d’orthorexie n’ingèrent que les aliments qu’elles estiment « purs » et « sains » pour leur santé, et rejettent tous les aliments qu’elles jugent comme étant un « poison ». L’orthorexie ne fait pas encore l’objet de chiffres officiels et n’est pas encore reconnue comme une pathologie. De fait, elle ne figure pas dans le DSM-5 (Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux) qui recense et classifie l’ensemble des pathologies existantes. Comment se caractérise l’orthorexie mentale ? Pourquoi l’orthorexie fait-elle seulement son apparition au XXIème siècle ? Que se cache derrière ce nouveau trouble ?

Définition et sémiologie de l’orthorexie mentale

L’orthorexie – du grec « orthos », « droit » et « orexis », « appétit » – est un trouble récent de l’alimentation, qui consiste en une fixation pathologique sur la qualité de sa nourriture. Plus fréquent chez les femmes que chez les hommes, ce trouble se caractérise par un régime alimentaire draconien composé uniquement d’aliments que les personnes jugent « bons et sains » pour leur santé (Bratman, 2004).

De plus, pour être consommés, les personnes atteintes de ce trouble exigent que ces aliments aient nécessairement suivi des règles strictes de production, de conservation et de transformation qui garantissent les qualités nutritives. Poussé à l’extrême, ce régime alimentaire conduit inévitablement à de graves carences et, au plus haut degré, s’accompagne d’un isolement socio-relationnel important (Moroze, Dunn, Holland, Yager, & Weintraub, 2015 ; Dunn & Bratman, 2015).

Obsédées par l’aspect diététique de leur alimentation, les personnes atteintes d’orthorexie adoptent en effet des comportements qui les isolent : elles évitent ou refusent d’aller déjeuner, dîner au restaurant ou chez des amis. Leur mode de vie s’en trouve changé : elles analysent les étiquettes alimentaires pour éviter les composants « impurs » (additifs, arômes artificiels, nitrites, etc.), préparent leur repas de façon ritualisée, consomment certains aliments uniquement à certains moments de la journée et ont une phobie de l’aliment « poison ». La frontière entre l’intérêt de manger sainement et ce que l’on peut considérer comme un trouble obsessionnel de l’alimentation saine est ténue. Seule une grille définie par des chercheurs (Moroze et al., 2015) permet aux professionnels de santé de les aiguiller sur la piste de l’orthorexie.

Critères de l’orthorexie mentale selon Moroze et al. (2015)

Critère A

L’obsession de manger des « aliments sains », en se concentrant sur la qualité et la composition des repas (deux ou plus des éléments suivants)

1. Suivre un régime déséquilibré sur le plan nutritionnel en raison de fortes croyances sur la « pureté » des aliments.

2. Être préoccupé(e) par la consommation d’aliments impurs ou malsains et de l’impact de la qualité et de la composition des aliments sur la santé.

3. Éviter rigoureusement les aliments considérés par le patient comme « malsains », pouvant inclure des aliments contenant des matières grasses, des conservateurs, des additifs alimentaires, des produits d’origine animale ou d’autres ingrédients que le sujet considère malsains.

4. Consacrer un temps excessif (par exemple, trois heures ou plus par jour) à la lecture, à l’acquisition et / ou à la préparation d’aliments en fonction de la qualité perçue de leur composition.

5. Culpabiliser ou s’inquiéter après avoir transgressé, c’est-à-dire après avoir consommé des aliments « malsains » ou « impurs ».

6. Être intolérant aux croyances alimentaires des autres.

7. Dépenser des sommes d’argent excessives par rapport à son revenu pour acheter des aliments en fonction de leur qualité et de leur composition perçue.

Critère B

La préoccupation obsessionnelle devient gênante de l’une des façons suivantes :

1. Avoir une santé physique altérée due à des déséquilibres nutritionnels (ex. malnutrition due à une alimentation déséquilibrée).

2. Être en détresse grave ou observer une altération du fonctionnement social, scolaire ou professionnel du patient due à ses pensées obsessionnelles et à ses comportements centrés sur ses croyances concernant une alimentation « saine ».

Critère C

Le trouble alimentaire n’est pas simplement une exacerbation des symptômes d’un autre trouble

Tel que le trouble obsessionnel compulsif, de la schizophrénie ou d’un autre trouble psychotique.

Critère D

Le trouble alimentaire n’est pas expliqué par l’observation de pratiques alimentaires organisées par une religion ou par des besoins alimentaires prescrits

Allergies alimentaires, problèmes médicaux nécessitant un régime alimentaire spécifique.

Pistes de réflexion sur les causes de l’apparition de l’orthorexie mentale

En rejetant tous les aliments considérés comme « malsains », les personnes atteintes d’orthorexie semblent avoir un besoin irrépressible d’être « pures ». A l’instar de certaines religions, l’orthorexie mentale pourrait revêtir, chez certaines personnes, un caractère spirituel : si certains aliments sont bénéfiques à la santé du corps et d’autres nocifs, alors ils contribueraient également au bien-être spirituel tandis que d’autres aliments l’affecteraient.

Mais comment expliquer que l’orthorexie mentale fasse son apparition au XXIème siècle seulement ? Est-elle liée aux dernières crises sanitaires et alimentaires ?

Depuis que nous avons traversé les dernières crises sanitaires et alimentaires – la vache folle, la grippe aviaire, la viande de cheval, le glyphosate, la salmonelle – l’alimentation est devenue un sujet sensible et revêt un caractère anxiogène pour nombre de consommateurs qui deviennent suspicieux.

Les consommateurs ont de moins en moins foi dans les acteurs de la grande distribution et se tournent de plus en plus vers des agricultures biologiques, raisonnées ou permanentes (permaculture). Ils cherchent davantage de maîtrise de ce qu’ils achètent et de ce qu’ils consomment.

En effet, les récents scandales alimentaires ont poussé les consommateurs à se tourner vers d’autres façons de consommer. Rappelons le scandale de la viande de cheval en 2013. Pendant 6 ans, des acteurs de l’agroalimentaire ont fait passer de la viande de cheval pour de la viande de bœuf. Les étiquettes de plats préparés ont été modifiées, trompant alors le consommateur final. Parlons également du scandale sanitaire lié à la crise de la vache folle.

Dans les années 90, des centaines de milliers de vaches ont été touchées par l’encéphalopathie spongiforme bovine (ESB), une infection qui proviendrait de l’utilisation de farines animales (issues de centres d’équarrissage) pour nourrir les bovins. Cette maladie bovine s’est transmise à l’homme qui a ingéré de la viande contaminée et s’est manifestée par des symptômes proches de la maladie de Creutzfeldt-Jakob, entraînant une dégénérescence du système nerveux central.

En 2017, plus de 220 victimes ont été recensées dans le monde, dont 27 en France. Ces cas de crises alimentaires et sanitaires ont créé un climat de peur, peur de l’empoisement, ce qui a incité les consommateurs à faire plus attention à ce qu’ils mangeaient. Les réseaux sociaux n’ont pas apaisé les esprits, relayant les cas de contamination et amplifiant les rumeurs sur les pratiques de certains acteurs de l’agroalimentaire. Monsanto, entreprise américaine spécialisée dans les biotechnologies agricoles, fait régulièrement l’objet de critiques.

En 1996, la firme américaine avait commercialisé une hormone transgénique nommée le Posilac. Cette hormone, vendue à des agriculteurs, s’injectait chez les vaches pour augmenter les rendements de production laitière. Or, l’hormone transgénique développait significativement les cas de mammites, une inflammation des mamelles. Dans les cas les plus graves, du pus se retrouvait dans le lait, ce qui contraignait les éleveurs à traiter leurs vaches avec des antibiotiques, dont on retrouvait la trace dans le lait. Le Posilac avait une répercussion sur la qualité du lait et par conséquent sur l’organisme du consommateur.

Au vu du nombre de mammites recensées, Monsanto a arrêté en 2008 la production de cette hormone transgénique. L’augmentation inquiétante ces dernières années des différentes crises sanitaires et alimentaires et des cas de cancers remettent effectivement en question, entre autres, la qualité de notre alimentation.

La méfiance qui pèse sur les industriels de l’agroalimentaire semble fomenter ces dernières années un climat, une atmosphère anxiogène, propice à développer chez les personnes les plus susceptibles un trouble tel que l’orthorexie mentale. De fait, la peur renforce les croyances et la recherche de « pureté » devient une forme de culte rendu à la déesse Santé. En effet, si on ne se soumet plus à des prescriptions ou à des rituels alimentaires, il semble bien qu’une forme d’idolâtrie se construit là, entraînant parfois une véritable ascèse diététique qui paradoxalement se retourne contre son objet et devient « pathologie ».

La nouvelle religion du 21ème siècle sera-t-elle alimentaire ou ne sera pas ? Les politiques et les acteurs de l’agroalimentaire sauront-ils redonner confiance à celles et ceux qui veulent se nourrir bien et sainement, ou au contraire, l’orthorexie sera-t-elle la nouvelle pathologie du XXIème siècle ?

Sources

Bratman Steven, Knight David (re-edition 2004). Health Food Junkies: Orthorexia Nervosa – the Health Food Eating Disorder, Harmony.

Moroze, R. M., Dunn, T. M., Holland, J. C., Yager, J., & Weintraub, P. (2015). Microthinking about micronutrients: A case of transition from obsessions about healthy eating to near-fatal “orthorexia nervosa” and proposed diagnostic criteria. Psychosomatics, 56(4), 397–403.

Thomas M. Dunn, Steven Bratman (2015). On orthorexia nervosa: A review of the literature and proposed diagnostic criteria. Eating Behaviors, 21:11-7.

S. Seelow. (2012). Monsanto, un demi-siècle de scandales sanitaires. Le Monde.

C. Josset. (2016). Il y a 20 ans, la crise de la vache folle tournait à la psychose. L’Express.

Auteur : Valentina Daliana

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