Office Life : une philosophie pratique de l’Expérience Collaborateur

Episode n°01 : Répétition

Figure 1 : “There is no route out of the maze. The maze shifts as you move through it because it is alive.”

– Philip K. Dick, VALIS

Office Life

« Office Life » : une série d’articles[1] qui analyse la notion « d’expérience collaborateur » en prenant pour point de départ des vécus de travail en collectif organisé afin d’en extraire l’essence des phénomènes observés par le prisme conceptuel de penseurs de la philosophie et des sciences humaines et sociales.  Quelles sont les catégories expérientielles de « l’expérience collaborateur » ?  Nous y répondrons par étapes, à la maille d’une typologie d’expérience ou d’un concept par article, en provoquant d’abord à chaque fois une observation dans l’intention d’étudier certains phénomènes.  Puis, fort des éclairages sur l’essence de la typologie d’expérience analysée, nous présenterons des enseignements pratiques d’un point de vue individuel pour le collaborateur et / ou d’un point de vue organisationnel pour des collectifs de travail.

Quelle sera la catégorie expérientielle explorée dans cet article ?  La répétition.

Daily meetings

La répétition.  Le retour du même.  Le sentiment de revivre une journée de travail pour ainsi dire à l’identique d’une autre.  Cette impression de récurrence, celle du déjà-vu…

Pensons d’abord au cadre moyen.  Non, pensez plutôt à vous-mêmes et à l’expression consacrée « métro, boulot, dodo » qui certains jours est désormais parfois amputée de la séquence « métro » de la série.  Pensez : à cette énième réunion d’équipe, à cette suite de « daily meetings », à la rédaction d’un autre compte-rendu de réunion projet, aux pause-café, aux « flash report » hebdomadaires, aux interactions de salutations cordiales du quotidien – « bonjour », « salut », « bonne soirée », « bon week-end »… – dans les couloirs et autres open spaces des échanges professionnels.  Pensez aussi : à l’opérateur en usine automobile qui exécute encore et encore sa part du ballet opérationnel sur la chaîne de montage, à la caissière de supermarché qui passe vos articles sous le lecteur de codes-barres puis qui vous donne le ticket de caisse et passe au client suivant pour engager la même série d’opérations.

Ainsi lancé on peut aussi penser à la mythologie grecque, et plus précisément à Sisyphe qui pour avoir osé défier les dieux, fut condamné à faire rouler éternellement jusqu’en haut d’une colline un rocher qui en redescendait chaque fois avant de parvenir au sommet.

Figure 2 : Sisyphe… au travail ?

« Je vis aussi Sisyphe, en proie à ses tourments : ses deux bras soutenaient la pierre gigantesque, et, des pieds et des mains, vers le sommet du tertre, il la voulait pousser ; mais à peine allait-il en atteindre la crête, qu’une force soudain la faisant retomber, elle roulait au bas, la pierre sans vergogne ; mais lui, muscles tendus, la poussait derechef ; tout son corps ruisselait de sueur, et son front se nimbait de poussière. »[2]

Albert Camus nous aide pour la suite car dans le regard qu’il porte sur ce mythe il s’intéresse aux pensées de Sisyphe – à la conscience qu’il a de sa situation – lorsque celui-ci descend de la montagne pour recommencer de nouveau son épuisante ascension en poussant le rocher :

« C’est pendant ce retour, cette pause, que Sisyphe m’intéresse. Un visage qui peine si près des pierres est déjà pierre lui-même ! Je vois cet homme redescendre d’un pas lourd mais égal vers le tourment dont il ne connaîtra pas la fin (…).  Cet univers désormais sans maître ne lui paraît ni stérile, ni fertile. Chacun des grains de cette pierre, chaque éclat minéral de cette montagne pleine de nuit, à lui seul, forme un monde. La lutte elle-même vers les sommets suffit à remplir un cœur d’homme. Il faut imaginer Sisyphe heureux. »[3]

Ainsi Sisyphe trouve son bonheur dans l’accomplissement de la tâche qu’il entreprend et non dans la signification de cette tâche.

Figure 3 : Albert Camus

Considérons ici l’essence et la place de la répétition au sein de « l’expérience collaborateur » et voyons, tel Sisyphe descendant de la montagne, vers quel état de conscience cela nous mène et quels enseignements on peut en tirer.

La répétition comme impossibilité… et généralité

La première question à laquelle il nous semble important de répondre ici est la suivante : quelle est la part de différence et la part de répétition dans « l’expérience collaborateur » ?  Autrement dit : qu’est-ce qui est stricto sensu différent d’une expérience dans le travail au regard d’autres expériences et qu’est-ce qui est stricto sensu de l’ordre du même, de l’ordre de la répétition ?

Pour cela il nous faut dès lors tourner notre regard vers quelques philosophes s’étant intéressés à ces considérations du point de vue plus général de l’expérience humaine.  On commencera assez classiquement par mettre nos pas dans ceux d’Héraclite en se dirigeant vers son fameux fleuve :

« À ceux qui descendent dans les mêmes fleuves surviennent toujours d’autres et d’autres eaux. »[4]

Figure 4 : Héraclite par Etienne Parrocel

Ainsi, de ce point de vue, rien ne se répète jamais à l’identique pour la simple raison que l’eau, ne cessant jamais de s’écouler, est à chaque fois différente bien que le nom du fleuve reste identique, pour n’évoquer que cela.  Le baigneur entrant dans le fleuve aura d’ailleurs lui aussi en parti changé d’un passage à un autre.  Héraclite nous donne donc à penser que c’est la nature entière qui s’écoule de la sorte en se cristallisant provisoirement dans tels ou tels phénomènes individués.

Il en va aussi ainsi de « l’expérience collaborateur ».  Prenons un exemple concret, déjà mentionné ci-haut : celui de l’opérateur automobile en usine qui réalise une action sur une chaîne de montage.  On peut supposer qu’il réalise systématiquement la « même » action sur cette chaîne de montage.  On peut d’ailleurs aussi dire que dans la mesure où son geste – visser une pièce sur un moteur par exemple – est optimisé du point de vue du processus d’ingénierie organisationnellement prescrit, qu’il y a là un enjeu d’excellence opérationnelle à ce que son geste soit systématiquement le « même » en termes de productivité et de qualité.  Or, dans l’absolu, est-ce vraiment le cas ?  Non.

Figure 5 : Première chaîne de montage automobile, Ford, 7 octobre 1913

C’est ici qu’il faut faire entrer en scène le philosophe Gilles Deleuze et son illustre thèse de doctorat : Différence et Répétition[5]Pour Deleuze, tout flue dans un devenir perpétuel et toute impression de stabilité n’est qu’illusion.  Ce que, de façon superficielle, nous croyons voir se répéter identiquement ou semblablement « fourmille » en fait d’infimes différences qui font de chaque « retour » un événement toujours nouveau et irréductible à ce qui l’a précédé.  Cela vaut à la fois pour les « Lois de la nature » (cf. par exemple : le fleuve) et pour les « Lois morales » ou comportements humains (cf. par exemple le geste de l’opérateur sur une chaîne de montage).

« La répétition n’est pas généralité.  La répétition doit être distinguée de la généralité, de plusieurs façons.  Toute formule impliquant leur confusion est fâcheuse : ainsi quand nous disons que deux choses se ressemblent comme deux gouttes d’eau ; ou lorsque nous identifions « il n’y a de science que du général » et « il n’y a de science que ce qui se répète ».  La différence est de nature entre la répétition et la ressemblance, même extrême.  La généralité présente deux grands ordres, l’ordre qualitatif des ressemblances et l’ordre quantitatif des équivalences. »

– Gilles Deleuze, Différence et Répétition

Le geste de l’opérateur sur la chaîne de montage – au même titre que toute autre action ou vécu d’un collaborateur en entreprise – n’est jamais exactement le même car il comporte une part de variabilité d’au moins deux points de vue :

1- Celui des « Lois de la nature »: à titre d’illustration, la pièce vissée ne le sera jamais exactement à l’identique si l’on se situe par exemple au niveau des atomes, et encore moins si l’on se situe au niveau des protons, neutrons, électrons, voire des quarks.  Cela vaut aussi pour toute activité professionnelle visant à transformer l’environnement physique d’un point de vue matériel.  Et il en va aussi ainsi pour la nature ou l’environnement physique dans lequel se réalisent les activités professionnelles du collaborateur : il n’est jamais exactement le même, jamais identique tel qu’il est à un temps T, à un temps T-1 ou à une temps T+1.

Figure 6 : Couverture de l’album #1 de la série de 4 albums « The Disintegration Loops » (2002) de William Basinski.  Ces albums sont basés sur des boucles musicales uniques stockées sur de vieilles bandes magnétiques qui se désagrègent progressivement lorsque jouées, dont les motifs s’effacent, sur des durées variables, remplacés par des silences ou des craquements.  Une illustration de l’impossible répétition des « Lois de la Nature » ?

2-Celui des « Lois morales » ou des comportements humains et des contextes socio-culturels dans lesquels ils s’inscrivent. Pour notre opérateur on pourra par exemple parler de variabilité au regard du moment de la journée, de ses émotions et pensées entre un geste et un autre, des interactions sociales précédant et suivant le geste et un autre, etc.  Ces différents éléments caractérisant sa personne en un temps T, ne seront jamais les mêmes à un temps T-1 ni a un temps T+1.

Figure 7 : Gilles Deleuze… répétitif ?

En somme, Deleuze affirme paradoxalement, et contre toute la tradition philosophique rationaliste pour qui la stabilité et la permanence sont des indices de la réalité d’une chose[6], que l’Etre se dit… en devenir[7] !

Nous arrivons donc ici à un premier constat : il n’y pas stricto sensu de répétition possible dans « l’expérience collaborateur », et ce malgré toutes les apparences du contraire évoquées en introduction.  Dans l’absolu, du point de vue de l’essence, il n’y a jamais de répétition que celle de la différence.  Pour poursuivre avec Deleuze, la répétition peut être considérée comme une impossibilité en termes d’équivalence

Voilà qui devrait réjouir chacun ayant l’impression de revivre toujours les mêmes journées, les mêmes situations, les mêmes interactions professionnelles : c’est impossible.  Voilà qui pourrait aussi inquiéter chacun qui de fait se trouve confronté tout au long de ses « expériences collaborateur » à une pluralité – une infinité – de situations et d’interactions possibles, l’ensemble pouvant être la cause de vertiges et d’angoisses tel que l’évoque Søren Kierkegaard en d’autres contextes[8].

Figure 8 : Søren Aabye Kierkegaard (1840)

Cela dit, si l’on accepte de lisser nos observations, vécus et perceptions des phénomènes, de les concevoir comme généralités, alors la répétition devient envisageable.  On parlera ici de répétition en termes de ressemblances perçues et non en termes d’essence, i.e. qu’il ne s’agit pas d’équivalences stricto sensu car un jeu de singularités sous-jacentes demeure quand même.  On peut dire qu’il y a moins de symétrie que l’effet, i.e. que ce qui est perçu. 

Ainsi la répétition n’est possible que considérée sous l’angle d’une généralité[9], en faisant abstraction de la variabilité de tout un lot de « caractéristiques » sous-jacentes définissant les « expériences collaborateurs ».  C’est le deuxième constat.

Figure 9 : La répétition comme ressemblance, généralité et concept

S’ouvre alors un autre questionnement : puisqu’il y a de la répétition – au sens de généralités, i.e. de ressemblance et non d’équivalence – dans les « expérience collaborateur », que doit-on en faire ? 

Autrement dit : quelles sont les répétitions souhaitables, c’est-à-dire les plus susceptibles de favoriser le développement des collaborateurs et des organisations dans lesquels ils s’inscrivent ?

Parmi l’ensemble de celles imaginables, je souhaite ici en aborder deux particulièrement cardinales :

  • La généralité de la répétition visant le perfectionnement de l’action, autrement dit : la répétition comme source de performance
  • La généralité de la répétition intégrant de nouvelles situations à l’habitude, autrement dit : la répétition comme source de créativité et d’innovation

C’est à cela que nous allons maintenant nous intéresser, notamment pour en tirer des enseignements et questionnements pratiques.

La répétition comme source de performance

Il s’agit ici d’envisager la répétition comme source du développement des organisations et des collaborateurs du point de vue de la performance de l’activité humaine de travail, i.e. l’augmentation en valeur du rapport qualité – coûts – délais (QCD) au regard d’enjeux opérationnels business dans un environnement de marché donné (point de vue organisationnel), ce à quoi s’ajoute l’augmentation du sentiment de réalisation de soi (et d’engagement) du collaborateur se livrant aux activités de travail (point de vue individuel).  Comment faire en sorte que la répétition soit une source de performance sur ces deux plans (organisationnel et individuel) ?

Un premier niveau de réponse consiste à se dire par « bon sens » que la répétition porte en elle-même les germes de l’amélioration continu et donc d’une performance accrue par la répétition des mêmes activités de travail par les mêmes personnes.  Repensons à notre opérateur sur la ligne de montage automobile qui, de façon répétée, visse la même pièce sur le même type de moteur.  On peut penser que de pièce en pièce son geste sera plus précis et plus rapide.  On peut penser aussi que notre opérateur y trouvera une forme de satisfaction dans le « travail bien fait ».

On peut effectivement penser, croire et imaginer plein de choses et donc continuons avec un autre exemple. Imaginons qu’un collaborateur de bureau réalise de mois en mois le même tableau croisé dynamique sous Excel sur la base d’une extraction de données, l’ensemble lui servant à réaliser un tableau de bord avec diverses analyses, le tout à des fins de reporting.  On peut croire que de mois en mois, par répétition donc, il sera plus rapide dans sa maîtrise de l’exercice sous Excel, dans ses capacités à aller plus loin dans l’analyse des résultats, à être plus pertinent et juste dans la synthèse qui formalise sous la forme d’un reporting.

On peut effectivement penser, croire et imaginer plein de choses et c’est d’ailleurs là que réside tout le risque d’une telle approche car y convergent aisément « le bon sens », les croyances, et le « wishful thinking », ou encore la pensée magique ou prophétique voire les belles évidences faciles… et fausses.

Figure 10 : Séance de wishful thinking

En réalité, entre une action #1 et une action #1bis, c’est-à-dire entre une « même » action au titre d’une répétition sous forme de généralité, il n’y a pas d’automatisme pour que l’action #1bis soit effectuée de façon plus performante que l’action #1.  La performance peut augmenter, mais elle peut aussi être stable voire diminuer en fonctions d’une grande variabilité de facteurs personnels, socio-culturels, et contextuels.

Comment faire alors pour se donner je dirais les meilleures chances pour que la répétition soit une source de performance ?  En faisant confiance au « bon sens » ?  Certainement pas.  Je viens d’ailleurs tout juste de dire que ce n’est pas ce qu’il faut faire !  Il s’agit plutôt d’aborder la répétition avec une intention conscientisée de volonté de performance d’un point de vue individuel et/ou organisationnel, le tout idéalement de façon outillée car cela permet de favoriser le passage de l’intention à des réflexes, tout en canalisant la réflexion et l’action orientée vers ladite performance.

C’est précisément de tout cela dont il s‘agit lorsque l’on met en œuvre des démarches d’excellence opérationnelle, de lean management, des rituels agiles tels que les retrospectives apprenantes, des outils d’amélioration de processus… bref, tout ce qui a trait aux approches outillées de l’amélioration continue, que l’on peut appliquer à la maille d’une organisation ou d’une équipe, mais aussi souvent à la maille de ses activités individuelles de travail du quotidien, en conscience.  A titre individuel, le dépassement de soi par une performance accrue, par exemple, peut alors être vécu comme un levier d’engagement.

Mais c’est d’abord une question de mindset.  Autrement dit, de l’état d’esprit et des pratiques qui accompagnement l’intention conscientisée, et idéalement outillée.  Quels sont les éléments clés d’un mindset permettant de faire de la répétition inhérente à « l’expérience collaborateur » une source de performance ? 

  • Growth mindset. Il s’agit d’un état d’esprit qui encourage la croissance personnelle et le développement continu. Les collaborateurs ayant un « growth mindset » sont ouverts à l’apprentissage, au feedback et aux nouvelles idées. Ils sont prêts à sortir de leur zone de confort pour se développer.
  • Mindfulness. La pleine conscience est un état d’esprit qui encourage la conscience de soi, la clarté mentale et la présence dans l’instant présent. Les collaborateurs qui pratiquent la pleine conscience sont mieux en mesure de gérer le stress, de se concentrer sur leur travail et de rester calmes.
  • Collaboration ouverte. La collaboration ouverte est un état d’esprit qui encourage la collaboration, la coopération et le partage des connaissances. Les collaborateurs ayant une mentalité de collaboration ouverte sont prêts à travailler avec d’autres équipes, à partager leurs idées et à collaborer pour atteindre des objectifs communs.
  • Future orientation. La future orientation (ou orientation vers le futur) est un état d’esprit qui encourage la vision à long terme, la préparation et l’anticipation des défis futurs. Les collaborateurs ayant une orientation vers le futur sont prêts à planifier et à se préparer pour les défis futurs, à être proactifs plutôt que réactifs et à anticiper les tendances futures pour rester compétitifs.
  • Empathie. L’empathie est un état d’esprit qui encourage la compréhension et l’écoute des autres. Les collaborateurs empathiques sont prêts à comprendre les points de vue des autres, à écouter leurs idées et à travailler avec eux pour atteindre des objectifs communs.
  • Résilience. La résilience est un état d’esprit qui encourage la capacité à surmonter les obstacles, à apprendre des échecs et à rebondir plus fort. Les collaborateurs résilients sont prêts à accepter les échecs comme faisant partie du processus d’apprentissage et sont capables de rester motivés malgré les difficultés.
  • Vulnerability mindset. Le vulnerability mindset (ou état d’esprit de vulnérabilité) est un état d’esprit qui encourage l’ouverture, l’honnêteté et la vulnérabilité pour améliorer les relations et la performance. Les collaborateurs ayant un état d’esprit de vulnérabilité sont prêts à partager leurs faiblesses, à demander de l’aide et à construire des relations de confiance pour améliorer leur performance.
  • Pensée critique. La pensée critique est un état d’esprit qui encourage l’analyse, l’évaluation et la réflexion sur les idées et les informations. Les collaborateurs ayant une mentalité de pensée critique sont prêts à remettre en question les idées reçues et à évaluer les informations pour prendre des décisions éclairées.
  • Intelligence émotionnelle. L’intelligence émotionnelle est un état d’esprit qui encourage la conscience de soi, la gestion des émotions et la relation avec les autres. Les collaborateurs ayant une intelligence émotionnelle développée sont prêts à comprendre leurs propres émotions, à gérer efficacement les conflits et à construire des relations solides avec les autres membres de l’équipe.
  • Curiosité. La curiosité est un état d’esprit qui encourage l’apprentissage continu, la découverte et l’exploration. Les collaborateurs curieux sont prêts à explorer de nouveaux domaines, à poser des questions et à apprendre de nouvelles compétences pour améliorer leur performance.
  • Ecoute active. L’écoute active est un état d’esprit qui encourage l’écoute attentive et la compréhension des autres. Les collaborateurs ayant une mentalité d’écoute active sont prêts à comprendre les perspectives des autres, à écouter attentivement les idées et les préoccupations des autres membres de l’équipe.

Figure 11 : Fixed Mindset vs Growth Mindset

De plus, la répétition des activités peut parfois entraîner de la monotonie, de l’ennui voire du désengagement chez les collaborateurs. Pourtant, il est possible d’utiliser des outils concrets pour transformer cette répétition en une source de performance et d’amélioration de « l’expérience collaborateur ». Voici quelques exemples :

  • La gamification. La gamification consiste à transformer les tâches répétitives en jeux, en y ajoutant des éléments ludiques tels que des défis, des récompenses et des classements. Cette approche peut aider les collaborateurs à se sentir plus engagés et motivés dans leur travail.
  • L’automatisation. L’automatisation peut être utilisée pour supprimer les tâches répétitives et fastidieuses de la liste des tâches des collaborateurs, leur permettant ainsi de se concentrer sur des tâches à plus forte valeur ajoutée. Des outils d’automatisation tels que UiPath, Automation Anywhere ou Blue Prism permettent de créer des robots qui effectuent ces tâches à la place des collaborateurs.
  • La formation. La formation continue peut aider les collaborateurs à améliorer leurs compétences et à découvrir de nouvelles façons de faire leur travail. Cela peut rendre les tâches répétitives plus intéressantes et stimulantes pour les employés. Des plateformes de formation en ligne telles que LinkedIn Learning ou Udemy peuvent être utilisées pour offrir des programmes de formation à distance.
  • La collaboration. Travailler avec des collègues sur des tâches répétitives peut être une façon de les rendre plus intéressantes et plus stimulantes. Cela permet aux collaborateurs d’échanger des idées, de partager des astuces et de créer des liens sociaux avec leurs collègues. Des plateformes de collaboration telles que Slack ou Microsoft Teams peuvent être utilisées pour faciliter cette collaboration.

En utilisant ces outils et approches, les entreprises peuvent transformer la répétition des activités en une source de performance et d’amélioration de « l’expérience collaborateur ». Cela peut aider à améliorer la motivation, l’engagement et la productivité des collaborateurs, tout en leur offrant des opportunités d’apprentissage et de développement.

La répétition comme source de créativité et d’innovation

Supposons que l’enjeu ne soit pas, ou pas que, de faire de la répétition d’une même activité une source de performance mais qu’il s’agisse plutôt – disons qu’il s’agisse principalement –  d’en faire une source de créativité et d’innovation.  Cela peut concerner, par exemple, la démarche de développement de nouveaux produits et services, la refonte de l’expérience client, et pourquoi pas d’ailleurs la refonte de l’expérience collaborateur en entreprise ?  Quelle bonne idée !  Bref, il s’agit ici de voir comment – sans bien évidemment épuiser tout le sujet — la répétition intégrant de nouvelles situations à l’habitude peut être une source de créativité et d’innovation.

Le principe premier qui prévalait ci-haut concernant la répétition comme source de performance n’est pas différent ici.  C’est-à-dire ?  Eh bien c’est-à-dire qu’il ne s’agit pas de faire confiance au « bon sens » ou encore à la pensée magique pour que de la répétition émerge spontanément créativité et innovation.  Il est plutôt recommandé d’aborder la répétition avec une intention conscientisée de volonté de créativité et d’innovation d’un point de vue individuel et/ou organisationnel, le tout idéalement de façon outillée car cela permet de canaliser la réflexion et l’action vers la créativité et l’innovation.

Figure 12 : To innovate or not to innovate… that is the question

La répétition comme source de créativité et d’innovation de façon conscientisée est d’abord une question de bonnes pratiques en termes de mindset :

  • Faire preuve de curiosité. Il est essentiel de rester curieux et d’essayer de nouvelles choses, même si l’activité semble routinière. En explorant de nouvelles idées, de nouvelles méthodes ou de nouveaux outils, on peut découvrir des façons plus créatives de réaliser le boulot.
  • Changer de perspective. Essayez de voir l’activité sous un nouvel angle. Demandez-vous ce qui peut être changé, amélioré ou ajouté. En adoptant une nouvelle perspective, vous pouvez trouver de nouvelles idées et de nouvelles façons de faire.
  • Expérimenter. Essayez de faire l’activité différemment ou de manière inattendue. Essayez de nouveaux outils ou techniques. Cela peut vous aider à trouver de nouvelles façons de faire et à découvrir des idées originales.
  • Favoriser la collaboration. Travailler en équipe peut aider à générer de nouvelles idées et de nouvelles perspectives. En encourageant la communication et la collaboration, les membres de l’équipe peuvent s’inspirer les uns les autres et travailler ensemble pour trouver des solutions innovantes.
  • Se fixer des défis. En se fixant des objectifs ambitieux ou des défis, on peut stimuler la créativité et l’innovation. Par exemple, on peut essayer de trouver des moyens d’optimiser ou de simplifier une tâche, ou de créer des processus plus efficaces ou plus durables.
  • S’inspirer d’autres domaines. Cherchez des idées et des inspirations dans des domaines différents de celui de l’activité que vous répétez. Par exemple, si vous êtes un graphiste, vous pouvez chercher de l’inspiration dans l’architecture ou la musique. Cela peut vous aider à trouver de nouvelles idées et à stimuler votre créativité.

Figure 13 : Jeu de cartes Oblique Strategies de Peter Schmidt et Brian Eno

Il existe aussi de nombreuses techniques de créativité et outils qui peuvent aider à faire de la répétition une source de créativité et d’innovation d’un point de vue individuel ou organisationnel. En voici quelques exemples :

  • Cartes à tâches aléatoires. Les cartes à tâches aléatoires, telles que les cartes Oblique Strategies de Brian Eno et Peter Schmidt, sont des cartes qui proposent des instructions ou des défis créatifs aléatoires. Les équipes peuvent tirer une carte au hasard pour stimuler leur réflexion, sortir de leur zone de confort et générer des idées innovantes.
  • Salles de créativité physiques. Les salles de créativité physiques sont des espaces dédiés à la créativité et à l’innovation au sein de l’entreprise. Ces espaces sont conçus de manière ludique et stimulante, avec des éléments tels que des tableaux blancs, des coussins, des jeux de société, des matériaux de bricolage, etc., pour encourager les employés à sortir des sentiers battus et à générer des idées originales.
  • Collaboration en réalité augmentée (RA). En exploitant la technologie de la réalité augmentée, des plateformes telles que Spatial ou MeetinVR permettent aux employés de collaborer dans des environnements virtuels. Ils peuvent visualiser et manipuler des objets virtuels, générer des idées et travailler ensemble, indépendamment de leur emplacement physique. Cette expérience immersive renforce la créativité et favorise la résolution innovante de problèmes.
  • Journées de liberté créative. Les journées de liberté créative, également connues sous le nom de « FedEx Days » ou « Hack Days », sont des journées dédiées où les employés peuvent travailler sur des projets créatifs et innovants qui les passionnent, en dehors de leurs tâches habituelles. Ces journées offrent aux collaborateurs un espace de liberté pour explorer de nouvelles idées, prototyper des solutions et générer de l’innovation.

Figure 14 : Spotify « Hack Week » : depuis 2013, un évènement où une semaine par an est dédiée à l’innovation

  • Plateformes d’idéation. Des outils comme IdeaFlip, Ideanote ou Idea Drop fournissent des plateformes dédiées à l’idéation et à la collecte d’idées au sein de l’organisation. Ces plateformes permettent aux collaborateurs de soumettre des idées, de les commenter, de les voter et de les développer ensemble, ce qui favorise la créativité, la collaboration et l’innovation.
  • Programme de parrainage croisé. Les programmes de parrainage croisé encouragent les employés de différents départements ou domaines d’expertise à collaborer et à échanger leurs connaissances. Par exemple, un développeur peut être jumelé avec un designer, ou un commercial avec un ingénieur. Cette collaboration croisée permet de rassembler des perspectives diverses, d’encourager la créativité et de générer des idées novatrices.
  • Plateformes d’innovation numérique. Des plateformes innovantes telles que Planview IdeaPlace ou Exago permettent aux organisations de créer des écosystèmes numériques pour l’innovation collaborative. Ces plateformes intègrent des fonctionnalités de soumission d’idées, de crowdsourcing, de gamification et d’évaluation d’idées basée sur l’IA pour renforcer la créativité, impliquer les employés et stimuler l’innovation.
  • Méthode SCAMPER. Cette méthode est une technique de réflexion créative qui consiste à se poser une série de questions sur un produit ou un service existant et à utiliser les réponses pour générer de nouvelles idées. Les questions incluent par exemple : Comment pourrais-je modifier ce produit ? Comment pourrais-je ajouter de nouvelles fonctionnalités ? Comment pourrais-je rendre ce produit plus attractif ?
  • Technique des six chapeaux de Bono. Cette technique fort connue consiste à adopter six perspectives différentes pour réfléchir à un problème ou à une situation. Chaque chapeau représente une perspective différente, comme le chapeau blanc pour la logique et les faits, le chapeau rouge pour les émotions et les sentiments, ou le chapeau noir pour les aspects négatifs. En changeant de chapeau, les participants peuvent explorer le problème sous des angles différents et trouver de nouvelles idées.
  • Rituels créatifs. Les rituels créatifs sont des activités régulières qui stimulent la créativité et l’innovation au sein de l’équipe. Cela peut inclure des sessions de dessin collectif, des jeux d’improvisation, des exercices de pensée latérale ou des discussions ouvertes sur des sujets inspirants. Ces rituels aident à créer un climat propice à la créativité et à maintenir l’esprit innovant au sein de l’équipe.
  • Programmes d’innovation interne. La mise en place de programmes d’innovation internes, tels que des défis d’innovation ou des hackathons internes, encourage les collaborateurs à proposer des idées novatrices et à travailler sur des projets d’innovation. Ces programmes offrent un espace dédié pour la créativité, la collaboration et l’exploration d’idées disruptives au sein de l’entreprise.
  • Méthode des analogies. Cette technique consiste à trouver des similitudes entre un problème ou une situation et des domaines différents, afin de générer des idées nouvelles et créatives. En cherchant des analogies avec des domaines inattendus, les participants peuvent explorer des pistes de réflexion originales et stimulantes.
  • Intelligence artificielle de créativité visuelle. Des plateformes telles que Dall-E, MidJourney, Jasper ou Wonder exploitent l’intelligence artificielle pour stimuler la créativité. Ces outils permettent aux collaborateurs de générer des œuvres d’art, des designs ou des idées innovantes en combinant leurs propres inputs avec les capacités de l’IA.

Figure 15 : Une image générée via l’outil d’intelligence artificielle créative Midjourney, sur la base du roman de science-fiction de Philip K. Dick : « Do Androids Dream of Electric Sheep ? » (1968)

  • Réalité virtuelle collaborative. Les environnements de réalité virtuelle (RV) collaboratifs, comme Mozilla Hubs ou ENGAGE, offrent des espaces virtuels où les employés peuvent se réunir, interagir et collaborer en temps réel. Ces outils permettent des réunions et des sessions de brainstorming immersives, où les participants peuvent partager des idées, manipuler des objets virtuels et explorer des concepts novateurs.
  • Intelligence collective augmentée. Des plateformes collaboratives en ligne exploitent le pouvoir de l’intelligence collective pour générer des idées et des solutions innovantes. Ces outils permettent aux collaborateurs de contribuer, de co-créer et de co-construire des connaissances collectives, en exploitant la sagesse et la diversité de l’ensemble de l’organisation.
  • Design fiction. Le design fiction est une approche qui combine le design, la narration et la prospective pour explorer des futurs possibles. Des méthodes comme le « speculative design » ou le « design provocation » peuvent être utilisées pour créer des prototypes fictifs ou des histoires qui suscitent la réflexion et la créativité, en aidant les équipes à imaginer des scénarios innovants.
  • Réalité virtuelle multi-sensorielle. La réalité virtuelle multi-sensorielle combine des éléments visuels, auditifs, olfactifs et tactiles pour créer une expérience immersive encore plus réaliste. Des dispositifs tels que les gants haptiques, les systèmes de diffusion d’odeurs ou les plateformes de réalité virtuelle à 360 degrés permettent aux collaborateurs d’explorer des environnements virtuels de manière plus engageante, ce qui peut stimuler leur créativité et leur innovation.
  • Intelligence artificielle créative avancée (langage naturel). Les dernières avancées en matière d’intelligence artificielle créative, telles que les réseaux de neurones génératifs (GAN) ou les systèmes de génération de langage naturel (NLP), peuvent être utilisées pour collaborer avec les employés dans le processus de génération d’idées. Ces systèmes peuvent proposer des suggestions créatives, des combinaisons d’idées inattendues ou des concepts novateurs, ce qui peut inspirer les collaborateurs à penser de manière innovante.

En adoptant ces pratiques, la répétition d’une même activité peut être transformée en une source de créativité et d’innovation. En restant curieux, en favorisant la collaboration, en se fixant des défis et en apprenant de ses erreurs, on peut trouver de nouvelles façons d’aborder les tâches routinières et de découvrir des solutions innovantes.

Réflexivité pratique

Comme nous venons de le voir, la répétition – comme généralité, i.e. comme ressemblance et non comme équivalence – n’est pas une morne et indépassable fatalité dans l’expérience collaborateur.  Cela dit, afin de la dépasser ainsi que ses effets délétères potentiels (ennui, désengagement, sous-performance, etc.) il est important d’aborder celle-ci avec une intention conscientisée de volonté de performance et / ou de créativité.

Plusieurs éléments de mindset, d’outils et d’approches ont ainsi pu être donné, non pas à titre d’exhaustivité des états d’esprit et des pratiques souhaitables, mais plutôt dans celui d’une intention pratique : donner des pistes pour faire un pas de côté et inspirer à faire différemment au regard de la régularité parfois ancrée de l’habitude et des réflexes.

L’exercice en soi de la prise de conscience et de la mise en mouvement ne saurait s’arrêter là, mais part plutôt du questionnement réflexif et pratique de chacun, à titre individuel d’une part, organisationnel d’autre part.

Voici quelques exemples de questions à se poser d’un point de vue individuel pour dépasser le sentiment et le vécu de répétition et s’entraîner à développer une intention conscientisée de volonté de performance et / ou de créativité dans son expérience collaborateur :

  • Dans mes activités professionnelles « répétitives », quelles sont celles qui pourraient être l’objet d’améliorations continues afin d’être plus efficaces, plus performantes ? Comment ?  Qu’est-ce que je peux mettre en œuvre de façon itérative pour m’y entraîner ?
  • Dans mes activités professionnelles « répétitives », lesquelles gagneraient à être abordées de façon plus créative, plus innovante, afin de faire différemment ? Comment ?  Qu’est-ce que je peux mettre en œuvre de façon itérative pour m’y entraîner ?

D’un point de vue organisationnel[10], les questionnements ont une couleur semblable, mais ils sont, il va sans dire, de périmètre plus important :

  • Dans notre organisation, quels sont les activités, postes, services, fonctions, métiers où la répétition des tâches doit être l’objet d’une intention régulière d’amélioration continue afin d’être plus efficace, plus performant ? Comment ?  Que pouvons-nous mettre en œuvre ?
  • Dans notre organisation, quels sont les activités, postes, services, fonctions, métiers où la répétition des tâches gagneraient à être abordées régulièrement de façon plus créative, plus innovante, afin de faire différemment pour apporter plus de valeur ? Comment ?  Que pouvons nous mettre en œuvre ?

Un jour sans fin ?

Là où il y a une intention de « faire mieux » et / ou de « faire différemment », il n’y a pas de fatalité à la répétition dans l’expérience collaborateur.  Là où il n’y en a pas ou moins, il y a le risque, en effet, d’une certaine fatalité : celui du réflexe, de l’habitude, celui de vivre en partie dans une forme réelle du mythe de Sisyphe. 

Ma proposition : prenons le contre-pied de tout cela.  Prenons l’exemple du personnage de Bill Murray dans le film « Un jour sans fin », un véritable conte philosophique dont le héros, prisonnier dans une boucle du temps, est soudain conduit à réfléchir sur lui-même, les autres et la vie en général.  Le constat initial de sa condition le dépasse, voire le déprime, puis il prend sur lui-même d’en faire une vie — notamment professionnelle — de performance, de créativité, et de réalisation de soi, pour lui et pour les autres.  Devrions-nous tous être des Bill Murray dans « Un jour sans fin » ?  Je ne saurais vous faire meilleure recommandation métaphorique au sujet de la place de l’expérience de la répétition dans l’expérience collaborateur.

Ainsi, d’un présent d’éternité, de ce sentiment de l’éternel retour du même, il vous sera possible d’être acteur, à titre individuel et / ou organisationnel d’un vécu professionnel en partie renouvelé par davantage de performance et de créativité. 

Figure 16 : Affiche du film “Un Jour sans fin” (1993).  Le personnage principal y est pris dans une boucle temporelle où il revit le même jour professionnel pendant « 30 à 40 ans », selon son réalisateur Harold Ramis.  Malheureusement encore un peu court pour être éligible à la retraite.

Références bibliographiques :

[1] Voir l’article introductif de la série ici

[2] Homère, Odyssée, Editions Gallimard, Collection Bibliothèque de la Pléiade, chant XI.

[3] Albert Camus, Le Mythe de Sisyphe, Editions Gallimard, collection « Folio », p.168.

[4] Héraclite, Fragments, PUF, 1998.

[5] Gilles Deleuze, Différence et Répétition, PUF, 1969.

[6] Voir notamment :

  • Platon, Œuvres complètes. Tome VI: La République, Livres I-III.   Les Belles Lettres.  1932.
  • G.W.F. Hegel, Science de la Logique.  Vrin. 2015 (ca. 1812-1816).

[7] Quel paradoxe au regard de cette série de publications « Office Life » qui analyse  la supposée essence des catégories expérientielles… !

[8] Søren Aabye Kierkegaard, La Répétition.  Editions Tisseau.  Bazoges-en-Pareds.  1948 (ca. 1843).

[9] Ou comme concept.

[10] Au sens d’organigramme, modes de fonctionnement, processus & procédures, outils, management.

Auteur : Hugo Deschamps

Ethnologue / Expert Change, Transformation Culturelle & Expérience Collaborateur