La gamification, ou l’art d’intégrer les jeux vidéo dans notre quotidien

Saviez-vous que, sans le savoir, nous avons un usage quotidien de la gamification ? Outre son utilisation habituelle (pour des systèmes applicatifs numériques), elle est utilisée dans d’autres disciplines au sein des entreprises : design, UX, conduite du changement et même dans les process agiles.

Alexandra Delmas, Docteure en sciences cognitives et consultante R&D à Bordeaux, nous explique le fonctionnement de la gamification. Terme employé initialement dans l’industrie et qui n’a été réellement défini que dans les années 2010 par Deterding. En effet, il faisait référence à « l’utilisation de mécaniques basées sur les jeux dans un contexte hors-jeu dans le but d’engager les individus, augmenter leur motivation et améliorer l’apprentissage ».

Elle nous montre notamment la méthode étudiée par Mulletier et ses collaborateurs pour formaliser les différentes mécaniques de gamification selon le comportement recherché. Nous aurons alors une vision étendue des différentes mécaniques de jeu qui peuvent être mises en place dans un business.

Nous noterons tout d’abord l’importance de définir les objectifs à atteindre du côté des joueurs afin de les aligner avec ceux du business. Nous détaillerons, par la suite, les expériences ludiques qui font émerger de la motivation intrinsèque selon le type de joueur. Enfin, nous étudierons les “systèmes de récompense”, qui répondent à l’accomplissement des buts.

Définir les objectifs des joueurs pour créer du flow

Le principe de cette première étape consiste en la définition de buts se rapprochant de l’état de flow. Cet état, associé à une concentration extrême du joueur pendant son activité, est atteint lorsque les compétences du joueur sont du même niveau que le challenge demandé.

En effet, si les compétences sont supérieures au challenge : le joueur tombera dans l’ennui. À l’inverse : il se trouvera dans un état d’anxiété. Dans les deux cas, l’engagement qu’il aura dans une activité sera minimisé.

Les techniques utilisées pour définir les objectifs des joueurs peuvent être par exemple :

Créer des buts à court terme : le joueur reste productif, ne s’ennuie pas, et continue de progresser afin d’atteindre un but à long terme, dit but “ultime”.

Ces buts à court terme passent par la division des tâches, dont le niveau de détail est corrélé au degré d’expertise du joueur (pour un expert, il faudra diminuer le nombre de tâches et lui laisser plus de libertés). Afin que le joueur voie sa progression, une représentation visuelle peut être faite comme un arbre des tâches (to do, doing, done).

NB : s’il n’y a que des buts à long terme, le joueur se décourage ou procrastine car ne sait pas par où commencer.

Le logiciel de cours en ligne Khanacademy illustre la progression des utilisateurs comme un jeu, en représentant les cours comme un arbre de connaissance avec un repère de progression. Il est composé pour chaque matière de buts à court terme et d’un but ultime.

Accompagner le joueur dans l’accomplissement des buts.

Il peut s’agir de l’information en cascade qui permet de maitriser le flux de connaissances en divulguant le niveau d’information minimum nécessaire à la compréhension de la tâche.

Cette technique est notamment utilisée par LinkedIn, où l’on doit compléter son profil par étape. Le feedback instantané peut aussi être utilisé : il s’agit d’une information renvoyée par le système lorsque le joueur fait une action.

C’est notamment grâce à cette technique que le jeu Foldit, où il faut agencer différents acides aminés pour créer une protéine, a permis de trouver une protéine importante dans la maladie du SIDA en 3 semaines alors que les recherches duraient depuis 10 ans sans résultats.

Les objectifs adaptés permettent ainsi de créer une expérience proche du flow. Ils passent notamment par des objectifs à long et court termes ; la division des tâches, la clarté des buts, ainsi que la maitrise du flux de connaissances. La contextualisation des informations augmente l’immersion. Idéalement, le but des joueurs s’aligne avec celui de l’entreprise à travers la pointification et les quêtes/défis.

Construire l’expérience ludique pour motiver

Les actions définissent les mécaniques de jeu utilisées pour construire une expérience ludique, dont le but est de faire émerger de la motivation intrinsèque (c’est-à-dire faire une activité pour son propre bénéfice), nécessaire à l’état de flow.

Cette expérience ludique va ainsi se greffer sur des expériences business préexistantes (achat en ligne, formation de collaborateurs à l’utilisation d’un nouveau logiciel, etc.), de manière à gamifier les rapports entre :

  • un individu et le contenu proposé par le business permettant ainsi de rendre le contenu plus attractif pour faciliter les interactions.
  • plusieurs individus en facilitant le fonctionnement de la communauté pour atteindre les objectifs souhaités.

Les expériences ludiques possibles peuvent poursuivre un objectif de performance (aider le joueur à se dépasser) ou émotionnel (créer de l’attachement). Cela aboutit à 4 mécaniques de jeux, elles-mêmes associées, selon la typologie de Bartle, à un type de joueur qui sera intrinsèquement motivé par cette expérience ludique.

1) Le jeu de rôle

Il permet de gamifier une expérience pour inciter l’individu à maitriser un contenu ou à se dépasser dans une pratique.

Mécaniques :

  • Création d’avatars
  • Affichage des compétences, des progressions et des niveaux
  • Quantified-self (mesures de valeurs en fonction de ce que le joueur accomplit).
  • Complétion (où la tâche doit proposer une fin, même lointaine)
  • Collection comme le propose le jeu Pokemon

Type de joueur :

L’accomplisseur car les jeux de rôle permettent de maitriser le contenu. Dans le jeu Pokemon, l’accomplisseur va vouloir attraper tous les Pokemons. Il va vouloir accomplir de nombreux miles pour atteindre un programme de fidélité, faire tous les niveaux de tous les personnages dans World of Warcraft. Passionné, il pourra également obtenir les dernières technologies Apple.

2) Le storytelling

Il permet de gamifier une expérience pour procurer à l’individu une expérience unique avec un contenu et de créer un attachement émotionnel. Il s’agit d’immerger le joueur et le faire adhérer à un univers particulier (attachement à une marque, inciter à en faire la promotion, …).

Mécaniques :

  • Création d’un monde particulier : esthétisme d’Apple, père noël de Coca Cola, Just do It de Nike …
  • Déblocage de contenu pour le rendre plus attractif
  • Personnalisation de l’univers comme Animal Crossing
  • Signification épique du rôle du héros, etc.

Type de joueur :

L’Explorateur car le storytelling apporte un univers qui amène de l’émotion et un attachement grâce au contenu. Il peut tester tout ce qui lui est proposé et découvrir ce que personne ne connait encore. Rapidement lassé, l’explorateur doit toujours avoir du choix et de la nouveauté comme les glaces à personnaliser de chez Haagen-Dasz, où l’explorateur reviendra régulièrement pour tout tester.

3) La coopération

Elle permet de gamifier une expérience pour créer une émotion commune auprès d’un groupe d’individus pour qu’ils coopèrent vers la poursuite d’un but commun. La communauté rassemble donc ses forces pour réaliser des projets qui la dépassent.

Mécaniques :

  • Coopération comme le propose Groupon (achat groupé pour avoir des réductions)
  • Coopération épique (travailler ensemble pour se dépasser) dont s’est inspiré le jeu Foldit décrit précédemment, mais aussi Stackoverflow (Système gamifié pour inciter les développeurs à intervenir dans les conversations pour résoudre les problèmes)
  • Asynchronie, permettant de jouer en différé (Draw Something …) peut être utilisée car elle permet de retenir les utilisateurs à cause de la pression sociale.
  • Favoriser la communication via des systèmes de messageries instantanées, des cadeaux virtuels, génère une atmosphère sociale.

Type de joueur :

Le Social car la coopération l’incite à poursuivre un but commun. Les joueurs sociaux survalorisent les rencontres et le contact humain, car ces expériences sont associées à des relations sociales, notamment grâce au système de messagerie.

4) La compétition

Elle permet de gamifier une expérience pour inciter une communauté à utiliser le moteur de la compétition pour viser l’excellence. Efficace pour pousser les joueurs à se dépasser, cette concurrence est utilisée dans les jeux vidéo pour que les joueurs se perfectionnent et maitrisent complètement le jeu.

Mécaniques de systèmes :

  • d’enchère comme e-Bay
  • d’exclusivité pour donner des privilèges aux joueurs peuvent être utilisés
  • de combo, bonus qui surviennent lorsque plusieurs tâches sont faites successivement (ex : -10% dès 100 euros d’achat),
  • de « Battles » pour accentuer le côté amusant
  • de jeux concours et des systèmes de vote (rassemblent une communauté autour d’un leader, et les partisans s’affrontent).

Type de joueur :

Le Tueur car la compétition incite plusieurs joueurs à maitriser une pratique dans le but de gagner le jeu sur leurs adversaires. Le tueur veut se démarquer des autres, offrir une performance supérieure à celle des autres (quand l’accomplisseur veut plutôt une performance absolue).

Ainsi, pour maximiser les résultats du système gamifié, une expérience ludique doit être adaptée à la problématique business et est associée à une typologie de joueur pour générer de la motivation intrinsèque :

  • Jeu de rôle pour augmenter les performances du joueur, associé à un Accomplisseur (cherche à remplir des objectifs)
  • Storytelling pour créer un attachement émotionnel, associé à un Explorateur (en quête de nouveauté)
  • Coopération, afin que les joueurs atteignent les buts ensemble, caractérisés par des profils de type Social (établit du contact avec les autres joueurs)
  • Compétition, afin que les joueurs s’améliorent pour gagner, illustrés par des profils de type Tueur (montrer leur supériorité).

Néanmoins, si les mécaniques ludiques permettent de générer une motivation intrinsèque, un call-to-action est aussi nécessaire pour demander explicitement au joueur de jouer. On peut ainsi retrouver :

  • Le metagaming qui permet de perpétuer en dehors du jeu les activités que le joueur pratique d’habitude dans le contexte ludique comme l’escalier piano de la gare Montparnasse
  • La réalité alternée où le comportement du joueur dans le jeu est proche de celui réalisé dans le réel comme le propose l’application Nike+
  • L’asynchronie avec une pression sociale où le partenaire envoie des rappels comme Draw Something)
  • Les rendez-vous (Inciter un comportement à une heure précise une récompense à la clé) comme les happy hours.

Elaborer le système de récompenses pour valoriser le joueur

Cette étape caractérise les mécaniques de jeu permettant de valoriser le mérite des utilisateurs en les récompensant pour l’accomplissement des buts, selon le niveau (débutant, confirmé, expert) et le type de motivation (extrinsèques, intrinsèques).

La motivation extrinsèque
Correspond à la pratique d’une activité pour avoir une récompense qui a une valeur en dehors de l’activité (un coureur qui veut maigrir aura une motivation extrinsèque comme le regard des autres, mais n’a pas de plaisir à courir). Parmi les récompenses efficaces pour ce type de motivation on retrouve les récompenses:

  • réelles (utile pour déclencher une action ponctuelle) ;
  • de statut (reconnaissance de la fidélité de l’utilisateur) ;
  • d’accès (donner un accès privé aux plus fidèles), comme le propose veepee.com (anciennement ventes-privées.com) qui déstocke les invendus de la marque sur invitation pour les plus fidèles.
  • On peut également avoir la possibilité d’obtenir plus de pouvoirs et de contrôle dans le jeu (ex : donner la possibilité d’être modérateur).

La motivation intrinsèque
Correspond à la pratique d’une activité pour avoir une récompense ayant une valeur au sein de l’activité (un coureur qui veut augmenter ses performances prend du plaisir pendant effort (via les endorphines libérées). Parmi les récompenses efficaces pour ce type de motivation on retrouve :

  • Les feedbacks (fournit des informations sur les conséquences de nos actions) qui peuvent être positifs pour atteindre des buts à court terme en les survalorisant (ex : 5% de commission pour chaque voiture vendue sur une semaine), ou négatifs pour atteindre des buts à long terme en stabilisant le jeu.

Enfin, il existe différentes solutions pour déterminer à quel moment les récompenses doivent être distribuées sous forme de récompenses :

Aléatoires seront plus efficaces pour les joueurs débutants afin de susciter leur engagement. Par exemple, l’affichage proposé par Pinterest et Google Image a autant de succès du fait des récompenses aléatoires (i.e. pertinence des images selon ce qu’on cherche) au fur et à mesure que nous explorons le site.

Certaines servent à encourager et conforter le joueur expérimenté. Les récompenses de complétion par exemple doivent être faciles à gagner selon l’action demandée (et non sur la performance, qui peut engendrer un état d’anxiété) : soit sur un intervalle de temps régulier (revenir tous les jours), soit selon un nombre d’actions qui a été faite).

De performance poussent le joueur expert à mieux jouer. Une dimension qualitative est alors ajoutée aux récompenses certaines dans la réalisation de ses actions. Ainsi, même si l’action est difficile, ce système permet de glorifier les meilleurs joueurs qui veulent s’améliorer tout le temps.

En conclusion,

Pour un engagement à long-terme, les récompenses doivent être adaptées au niveau de l’utilisateur (débutant, confirmé, expert) ainsi qu’à son type de motivation (interne et externe).

Concernant les débutants, le système doit les attirer et ainsi mettre en place un système de récompense immédiat et facile à obtenir, ce qui rend puissant la distribution aléatoire des récompenses.

Du coté des confirmés, le challenge est de les retenir sur du plus long-terme en valorisant leurs progrès comme les feedbacks de progression avec une distribution certaine. Enfin les experts, qui maitrisent parfaitement le système, ont besoin d’opportunités afin qu’ils continuent à s’épanouir (par exemple, aider les débutants), grâce notamment aux récompenses de performance.

La gamification consiste ici en l’utilisation des principes de jeu pour changer les comportements et résoudre problèmes des entreprises. Même si ses principes sont étroitement liés aux technologies numériques (MOOcs, Serious Games, Applications, sites de e-commerce, …), la gamification mesure son efficacité via sa capacité à répondre à la fois aux attentes de l’entreprise et des joueurs.

Afin de maximiser les résultats, des méthodes rigoureuses sont nécessaires à instaurer pour construire des systèmes cohérents.

Auteur : onepoint

beyond the obvious