Les paiements à l’international face aux technologies et réglementations

Les mouvements de transformation technologiques et réglementaires vont-ils redistribuer les cartes durablement ?

 

Longtemps sous le monopole d’acteurs historiques tels que les grandes banques internationales proposant des offres de Correspondent Banking, les paiements à l’international ont vu émerger ces 10 dernières années de nouveaux acteurs qui ont proposé de nouveaux modèles économiques et de nouvelles propositions de valeur.

 

Mais les acteurs traditionnels et particulièrement les banques ne sont pas restées inactifs, tandis que de nouveaux acteurs émergent

Les nouveaux acteurs ont en effet profité :

  • du développement des usages mobiles : plus de 70% de la population mondiale utilise désormais un téléphone portable soit 5,27 milliards de personnes.
  • de nouvelles règlementations (Mobile Money en Afrique, DSP2 en Europe…)
  • et de l’utilisation de nouvelles technologies (Intelligence Artificielle, Big Data, Instant Payment, Blockchain…)

Ces transformations se poursuivent et n’ont pas terminé d’impacter les modèles actuels. Mais les nouvelles technologies et les nouvelles réglementations vont-elles réellement rebattre les cartes pour l’écosystème en place ?

Les paiements de type « Transfert d’argent » ont été bousculés par de nouveaux acteurs que ce soient de jeunes start-up ou des acteurs Telecom

Les leaders du marché « Transfert d’argent », Western Union et Moneygram sont depuis quelques années concurrencés par des acteurs qui ont misé sur le 100% digital. Ces entreprises attirent un grand nombre d’utilisateurs notamment par leurs frais nettement plus bas et leur rapidité d’exécution. La société Wise anciennement Transferwise par exemple, fondée en 2010, revendiquait début 2021, 10 millions de clients particuliers, ainsi que professionnels et affirmait traiter plus de 5 milliards d’euros de transactions internationales chaque mois.

Certains acteurs ont fait le choix de cibler les pays non bancarisés notamment en Afrique en misant sur le transfert d’argent par mobile où le taux de couverture mobile avoisine les 100%. Ainsi, Orange avec son offre Orange Money, permet de transférer de l’argent de manière immédiate et de le retirer dans l’un de ses 300 000 points de vente en Afrique. Néanmoins, ces acteurs restent confrontés aux enjeux d’interopérabilité entre les différentes offres mais aussi très dépendants des réglementations en fonction des pays d’origine des fonds.

Mais le secteur bancaire n’est pas resté sans réagir : c’est la mise en place en 2014 de SEPA qui permet de réaliser des paiements transfrontaliers en euros dans 34 pays européens aussi faciles et aussi sûrs que les paiements nationaux.

Le système SEP a permis de rattraper le retard pris par la zone Euro par rapport aux Etats-Unis qui sous l’impulsion des banques américaines avait créé au début des années 70 ACH (Automated clearing house) le système centralisé américain de chambre de compensation pour tous les transferts des fonds électroniques (TFE) qui ont lieu sur le territoire national et comme point d’entrée pour les paiements transfrontaliers, que Visa utilise pour le traitement automatisé des paiements et qui est utilisé dans près de 20% des achats de bitcoin.

En Europe les néobanques ont fondé leur réputation, autour d’une nouvelle proposition de valeur pour les paiements à l’international

Revolut n’est plus à présenter et se trouve être, avec l’acteur allemand N26, la figure de proue des néo-banques en Europe. Dès son lancement, cette fintech anglaise a fondé sa proposition de valeur initiale sur son offre permettant de bénéficier de paiements internationaux illimités par mois. Elle a su tirer dès le départ une bonne partie de ses revenus des commissions interchange qu’elle touche sur les transactions effectuées avec sa carte, en complément des abonnements payés par ses clients pour accéder à son offre.

Les parties prenantes des paiements à l’international étudient attentivement les leviers de transformation que la monnaie digitale et l’Instant Payment représentent mais des offres concrètes peinent à arriver.

Un mouvement de fonds concernant l’adoption de monnaie digitale s’est engagé au sein des banques centrales ces deux dernières années. Sous l’impulsion de la BRI (Banque des Règlements Internationaux) qui dans son rapport annuel 2020 incitait vivement ses membres à créer leurs « monnaies digitales de banque centrale (MDBC), la BCE a annoncé vouloir mettre en place un prototype de crypto-monnaie pour 2023 avec une arrivée sur le marché en 2025. Cette monnaie permettrait de concurrencer la crypto-monnaie officielle de la Chine et celle en cours de développement aux États-Unis.

L’une des grandes discussions autour de l’adoption de la crypto-monnaie est la réglementation. Il existe plusieurs efforts nationaux visant à créer une crypto-monnaie numérique qui est une sauvegarde de chaque monnaie fiduciaire. Dans ce contexte, l’impact sur les paiements à l’international semble donc inévitable et majeur mais reste suspendu aux travaux nationaux et à la maturité des acteurs en présence.

L’autre levier de transformation majeur est lié au développement de l’Instant Payment. Si les banques centrales poussent depuis plusieurs mois à son adoption, le coût de ces virements, souvent facturés 1 euro, freine son déploiement. Ainsi, plus de deux ans après son lancement, ce service peine à décoller. Pour la zone Euro par exemple, la BCE avait initialement estimé que « 23 % des transactions réalisées par virements, prélèvements, chèques ou cartes bancaires en zone euro pourraient être effectuées en paiement instantané d’ici à 2023 ».

Mais selon la Fédération bancaire française (FBF), « ce type de transactions n’a représenté qu’environ 1 % des virements en France au cours de l’année 2020 et 2% en 2021 ». A contrario des services de type « International remittance » d’offres d’acteurs de Mobile Money ou bien de porte-monnaie électronique tel que Paypal reposent nativement sur de l’Instantanéité. Mais les enjeux de conformité et de lutte anti-blanchiment constituent aussi un frein au développement de ce type de transaction.

Swift, coopérative en charge de la messagerie universelle de l’industrie bancaire, a pour sa part, amorcé sa transformation sur la base des possibilités offertes par le mode API et la nouvelle norme ISO 20022

Face à la révolution technologique et les mouvements d’acteurs, Swift a amorcé une refonte de sa proposition de valeur. Après avoir proposé notamment l’offre GPI permettant d’assurer un traçage fin des chemins réalisés par une transaction à l’international, cette coopérative appartenant à plusieurs groupes bancaires souhaite profiter de la mise en œuvre de la nouvelle norme ISO 2022 pour refondre sa plateforme d’intermédiation de flux de Correspondent Banking.

Au-delà du changement de format (passage du format MT au format MX – XML), la norme ISO 20022 permet de véhiculer au sein des messages de paiements des données plus riches ouvrant les usages aux métiers. Mais pas seulement, avec la norme ISO 20022, Swift apportera de la valeur fournissant la couche de messagerie des processus métier communs pour permettre la cohérence des données, en mode open source.

Avec ces transformations et ces nouvelles bénéfices, Swift garde inéluctablement son rôle d’intermédiaire incontournable dans le monde des paiements cross border multidevises.

Enfin les GAFAM et les BATX (Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi) veulent aussi prendre une part du gâteau mais se heurtent à plusieurs obstacles.

Dans une étude réalisée en 2020 par Mind fintech, Alphabet(Google) et Amazon représentaient à eux deux 80% des projets spécialisés des GAFAM (47 sur 59) dans les services de paiements, dans le BtoC comme dans le BtoB.

Côté BATX, Tencent le plus impliqué en la matière et qui est devenu très visible partout dans le monde avec son célèbre QR code chez les commerçants avec son application emblématique Wechat offre plusieurs possibilités en matière de service transfrontalier :

  1. WeChat Pay coopère directement avec les commerçants internationaux
  2. Les intégrateurs système intègrent WeChat Pay en tant qu’option parmi les méthodes de paiements qu’ils proposent.
  3. Les sociétés de paiement étrangères intègrent WeChat Pay en tant qu’option au sein des méthodes de paiements qu’ils proposent.

La maison mère de Facebook, désormais baptisée, Meta planchait depuis 2019 sur une devise virtuelle. Mais face à l’opposition des autorités politiques comme financières, Diem, l’association indépendante qui portait le projet, a décidé d’y mettre fin. Pour information, Libra avait été renommée Diem à la fin de 2020.

A l’origine, Facebook avait imaginé un nouveau mode de paiement permettant d’acheter des biens ou d’envoyer de l’argent aussi facilement et rapidement qu’un message instantané. Mais le projet avait, dès son lancement, provoqué une levée de boucliers, aussi bien de la part des banques centrales, des régulateurs que des décideurs politiques. Ces derniers s’inquiétaient pêle-mêle des risques pour la stabilité du système financier, de la lutte contre le blanchiment d’argent ou encore de la protection des données personnelles.

Si ce type d’initiatives n’est pas couronnées de succès, c’est notamment parce que GAFAM et BATX sont partis très en retard sur ces sujets et ce sont d’autres acteurs spécialisés qui tirent leur épingle du jeu. Cela a commencé par Ethereum, Ripple, Solana, Apecoin et bientôt Arbismart qui va devenir une véritable plateforme de services bancaires cryptographiques.

Par ailleurs les états et notamment l’Europe se sont emparés du sujet avec la récente proposition des directives européennes DSA (Digital Services Act) et DMA (Digital Market Act) DSA and DMA pour freiner les abus de position dominante des GAFA,

On voit donc bien qu’en matière de paiements internationaux et dans la mesure où il s’agit d’enjeux de souverainetés, la maitrise des data, le poids technologique et financier ne sont pas tout et que l’innovation reste un moteur puissant de disruption et de développement, accompagnés par les structures réglementaires ou acteurs de premier plan.

Auteur : Vincent Weber

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