Assurance santé : quand le non responsable devient responsable

Onéreux, complexes, inadaptés aux besoins des seniors… Les contrats santé responsables perdent leur attrait. A l’inverse, les offres non responsables gagnent du terrain. Rapport qualité-prix plus attractif, meilleure rentabilité pour les assureurs… Ces solutions constituent un laboratoire riche en promesse pour l’évolution du contrat responsable.

S’il y a bien un consensus aujourd’hui au sein des professionnels du secteur de l’assurance santé, c’est la nécessité de réformer le contrat responsable.
Conçu pour garantir à tous un socle minimal de garanties essentielles, il s’alourdit d’année en année de nouveaux postes à couvrir plus ou moins essentiels et dont certains sont très éloignés d’une logique assurantielle.
Comme son nom l’évoque, la vocation initiale du contrat responsable visait à responsabiliser les assurés quant à leur consommation de soins médicaux1 et ainsi à maîtriser les dépenses publiques de santé. Ce dispositif est toutefois entré dans une spirale inflationniste2.

Cette dérive s’est accentuée depuis l’instauration du programme 100% Santé, entrée en vigueur le 1er janvier 2021, et les déremboursements successifs de la Sécurité Sociale. En mars 2025, le gouvernement, via l’Assemblée nationale, s’est emparé du sujet des complémentaires santé et du contrat responsable à travers la Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la Sécurité sociale (MECSS).

Le directeur général de l’Assurance maladie, Thomas Fatôme, a affirmé être pour un allégement des contraintes du contrat responsable afin d’en réduire le coût3.

France Assureurs, la Mutualité Française (FNMF) et le Centre Technique des Institutions de Prévoyance (CTIP) ne sont pas en reste non plus. Depuis septembre 2024, les trois fédérations travaillent de concert à la formulation de recommandations. Elles ont ainsi proposé la refonte du socle de protection sociale complémentaire en santé4.

En réponse, depuis 2023 les offres non responsables sont en plein essor sur le marché individuel5. Certes, près de 95% des couvertures santé souscrites par les assurés français demeurent « responsables ». Toutefois, les offres non responsables répondent à un vrai besoin. Ces solutions alternatives s’intègrent donc naturellement dans l’arsenal stratégique des distributeurs et des porteurs de risque.

Offres non responsables en individuel : le paradoxe des seniors

Les options non responsables ou les surcomplémentaires individuelles non responsables en complément de formules responsables existent depuis l’introduction des contrats responsables en 2005. Notons qu’elles ont la vocation d’adresser, en collectif, le haut de gamme du marché.

A l’opposé existent depuis longtemps aussi des offres « coup dur » couvrant uniquement l’hospitalisation, s’adressant à une cible précaire et limitées en volume d’affaires.
Ces offres non responsables ne sont pas nouvelles. Néanmoins leur profil change. Primo, elles se diversifient. Secundo, elles ciblent les seniors. Tertio, elles offrent une flexibilité inédite. Seul ombre au tableau : leur fiscalité.

Jusqu’à 20% d’économie

Les offres non responsables en individuel proposent plusieurs formules construites sur une base non responsable.
Elles s’affranchissent toutes des obligations du 100%.
Affichant des tarifs 15% à 20% moins élevés que les offres responsables, malgré une taxe majorée de 7 points6, ces formules séduisent particulièrement les seniors. Pour cette population, la complémentaire santé pèse lourdement dans leur budget mensuel. Elle est, en effet, susceptible d’engloutir l’équivalent d’un mois de revenu pour les plus petites pensions7.

Même si l’argument prix est mis en avant dans ces offres, ce ne sont pas toujours les niveaux d’entrée de gamme qui sont plébiscités. Les écarts tarifaires avec les contrats responsables se creusent surtout sur le haut de gamme.
A telle enseigne que certains acteurs réfléchissent à positionner des offres non responsables sur ce segment.

Des offres séniors plus flexibles, plus frugales, mais aussi plus taxées…

Les contrats non responsables offrent une échappatoire au carcan réglementaire du contrat responsable. Exit le tunnel de garanties imposé, ces formules introduisent une flexibilité accrue dans la construction des garanties.
Elles réintroduisent ainsi des mécanismes tels que les franchises, plafonds, délais de carence qui incitent à des comportements plus responsables.

« Seul espace d’innovation aujourd’hui pour les complémentaires santé » selon David Trohel, directeur Partenariats, Produits et Communication du Groupe Santiane, elles répondent à un vrai besoin de personnalisation et de coût maîtrisé.

C’est là tout le paradoxe ! Plus vertueuses en matière de consommation, ces offres ciblent les seniors. Ils sont toutefois déjà les plus exposés au coût de l’assurance. Ironie du sort : ce sont aussi les offres que l’État taxe le plus.

Les courtiers grossistes en première ligne

Les offres non responsables en individuel constituent le territoire de prédilection des courtiers grossistes.

De Néoliane à April : l’essor des offres non responsables

Le courtier grossiste Néoliane a été précurseur en lançant sa première offre non responsable, Néoliane Sant€co, dès 20188. Pourtant, la majorité des courtiers grossistes ne lui ont emboité le pas qu’en 2024.

Quant au leader du secteur, April, il n’a proposé son offre non responsable, APRIL Only Santé, qu’en 20259.
Distribuées exclusivement en vente à distance ces offres rencontrent un succès souvent au-delà des prévisions et vont jusqu’à représenter 30% de leur production sur ce canal.

Conscients du devoir de conseil, les courtiers grossistes multiplient les dispositifs pour éviter toute mauvaise surprise aux assurés.
Certains vont même jusqu’à déclencher des appels sortants post-souscription pour valider la bonne compréhension des garanties souscrites.

Finalement, comme le souligne Fanny Gilbert Directrice Générale Adjointe de Meilleur taux Santé, « le non responsable oblige à avoir un comportement encore plus responsable dans le processus de vente ». Cette exigence de conseil constitue parfois un frein pour certains acteurs. Leurs réseaux de distribution sont en effet réticents face aux risques encourus, souvent par manque d’expertise.

Les premiers retours d’expérience montrent un faible taux de réclamations et aucun pic significatif durant la période critique d’un an.

Le non responsable : une rentabilité attractive pour les assureurs

Pour les assureurs, le non responsable présente un niveau de rentabilité meilleur et un risque mieux maîtrisé.
Il permet également de s’affranchir de la lourdeur des travaux en lien avec les évolutions réglementaires (mise en conformité de portefeuille, rattrapage tarifaire, …).

Certes, les assureurs ont pu se montrer frileux au démarrage. Ils y trouvent aujourd’hui leur intérêt. Ils demeurent néanmoins discrets et se contentent pour la plupart de concevoir des offres en marque blanche pour les courtiers grossistes.
C’est aussi un marché qui commence à séduire les réassureurs qui y retrouvent une certaine valeur ajoutée technique, et qui sert aussi de tremplin vers d’autres risques.

Le non responsable comme laboratoire du futur contrat responsable

En somme, les offres non responsables constituent une première source d’inspiration pour trouver des pistes d’évolution du contrat responsable.

Aussi, une première réflexion pourrait être menée sur le périmètre des garanties minimales et maximales à couvrir dans le contrat responsable. L’objectif consiste à privilégier la prise en charge des soins essentiels dans une logique assurantielle. Haro donc sur la logique consommation. Il ne s’agira pas pour autant d’exclure le dispositif 100% Santé.

Une seconde réflexion pourra être portée sur la réintroduction des mécanismes de franchises ou de délais de carence. Ces mécanismes permettraient de responsabiliser les assurés dans leur consommation de soins.

Ainsi en redonnant de la souplesse dans la composition des paniers de garanties, les assureurs pourraient retrouver de la marge pour déployer plus de prévention.

Les idées ne manquent pas pour réformer le contrat responsable. Cette évolution ne constitue cependant qu’une piste parmi d’autres pour améliorer l’accès aux soins et maîtriser les dépenses de santé.

Cette réforme devra cependant s’intégrer dans une politique plus globale de santé publique. Elle nécessitera une vraie concertation entre les pouvoirs publics et les organismes d’assurance complémentaire.

Le contexte politique instable rend peu probable une réforme d’envergure dans l’immédiat. Les contrats non responsables devraient donc perdurer encore quelques années.

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Références


  1. « L’obligation d’un contrat santé collectif depuis responsable depuis 2015 », ag2rlamondiale.fr, Pourquoi un contrat santé « responsable » ?, 2025.
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  2. Frédéric Bizard, « Mutuelles : vers une réforme pour endiguer la spirale des prix », theconversation.com, 16 janvier 2025
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  3. Cité par Maxime François, « Contrats santé : l’Assurance maladie favorable à un allégement de la réglementation », argusdelassurance.com, 27 mars 2025
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  4. « France Assureurs, la Mutualité Française et le Centre Technique des Institutions de Prévoyance proposent la refonte du contrat responsable », franceassureurs.fr, 26 septembre 2024.
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  5. Maxime François, « Complémentaire santé : en 2024, la tentation des contrats non responsables bon marché », argusdelassurance.com, 17 janvier 2024.
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  6. « La taxation des complémentaires santé », page 1, 5 page, solidarites-sante.gouv.fr, DREES, 2024.
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  7. « Un couple d’assurés de 60 ans en garanties renforcées doit désormais débourser en moyenne plus de 250 euros par mois (soit plus de 3000 euros par an) pour bénéficier d’une couverture complémentaire. », Julien Da Sois, « Les tarifs des complémentaires santé s’envolent pour les seniors », lefigaro.fr, 26 septembre 2023.
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  8. « Mutuelle Néoliane », courtier.fr, 2025
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  9. « APRIL Only Santé », april.fr, 2025.
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