Quand le non responsable devient responsable
Onéreux, complexes, inadaptés aux besoins des seniors… Les contrats santé responsables perdent leur attrait. A l’inverse, les offres non responsables gagnent du terrain. Rapport qualité-prix plus attractif, meilleure rentabilité pour les assureurs… Ces solutions constituent un laboratoire riche en promesse pour l’évolution du contrat responsable.
Sommaire
- Au commencement était le contrat responsable
- Offres non responsables en individuel : le paradoxe des seniors
- Les courtiers grossistes en première ligne
- Le non responsable comme laboratoire du futur contrat responsable
Au commencement était le contrat responsable
S’il y a bien un consensus aujourd’hui au sein des professionnels du secteur de l’assurance santé, c’est la nécessité de réformer le contrat responsable.
Comme son nom l’évoque, la vocation initiale du contrat responsable visait à responsabiliser les assurés quant à leur consommation de soins médicaux[1] et ainsi à maîtriser les dépenses publiques de santé.
Conçu pour garantir à tous un socle minimal de garanties essentielles, il s’alourdit d’année en année de nouveaux postes à couvrir plus ou moins essentiels, et dont certains sont très éloignés d’une logique assurantielle.
Censé favoriser les comportements vertueux, il favorise des comportements consuméristes et ouvre la possibilité à de nouveaux types de fraude.
Enfin, il est entré dans une spirale inflationniste[2], notamment depuis la mise en place du 100% santé, et subit les déremboursements successifs de la Sécurité Sociale.
En mars 2025, le gouvernement a confié à la Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la Sécurité sociale (MECSS) un travail d’identification des évolutions à apporter au contrat responsable.
Le directeur général de l’Assurance maladie, Thomas Fatôme, a affirmé être pour un allégement des contraintes du contrat responsable afin d’en réduire le coût[3].
De leur côté les trois fédérations – France Assureurs, la Mutualité Française (FNMF) et le Centre Technique des Institutions de Prévoyance (CTIP) – travaillent de concert à la formulation de recommandations[4] et tentent de faire entendre leur voix auprès du gouvernement.
En réponse, depuis 2023 les offres non responsables sont en plein essor sur le marché individuel[5]. Certes, près de 95% des couvertures santé souscrites par les assurés français demeurent « responsables ». Toutefois, les offres non responsables répondent à un vrai besoin et s’intègrent donc naturellement dans l’arsenal stratégique des distributeurs et des porteurs de risque.
Offres non responsables en individuel : le paradoxe des seniors
Les options non responsables ou les surcomplémentaires individuelles non responsables en complément de formules responsables existent depuis l’introduction des contrats responsables en 2005. Notons qu’elles ont la vocation d’adresser, en collectif, le haut de gamme du marché.
A l’opposé existent depuis longtemps aussi des offres « coup dur » limitées en volume d’affaires, couvrant uniquement l’hospitalisation et s’adressant à une cible précaire.
Ce qui est nouveau et qui nous intéresse ici, c’est la multiplication depuis 2 ans des offres non responsables en individuel.
Jusqu’à 20% d’économie
Ces offres sont composées de plusieurs niveaux avec un socle non responsable, et toutes s’affranchissent du 100% santé. Affichant des tarifs 15% à 20% moins élevés que les offres responsables, malgré une taxe majorée de 7 points[6], ces formules séduisent particulièrement les seniors. Pour cette population, la complémentaire santé pèse lourdement dans leur budget mensuel. Elle est, en effet, susceptible d’engloutir l’équivalent d’un mois de revenu pour les plus petites pensions[7].
Même si l’argument prix est mis en avant dans ces offres, ce ne sont pas toujours les niveaux d’entrée de gamme qui sont plébiscités, notamment parce que les écarts tarifaires avec les contrats responsables se creusent surtout sur le haut de gamme. A telle enseigne que certains acteurs réfléchissent à positionner des offres non responsables sur le segment haut de gamme.
Des offres plus flexibles, plus frugales, mais aussi plus taxées…
Les contrats non responsables offrent une échappatoire au carcan réglementaire du contrat responsable. Exit le tunnel de garanties imposé, ces formules permettent une flexibilité accrue dans la construction des garanties. Elles réintroduisent des mécanismes tels que les franchises, plafonds, délais de carence qui incitent à des comportements plus responsables.
« Seul espace d’innovation aujourd’hui pour les complémentaires santé » selon David Trohel, Directeur Partenariats, Produits et Communication du Groupe Santiane, elles répondent à un vrai besoin de personnalisation et de coût maîtrisé.
C’est là tout le paradoxe ! Plus vertueuses en matière de consommation, ces offres ciblent les seniors. Ils sont toutefois déjà les plus exposés au coût de l’assurance. Ironie du sort : ce sont aussi les offres que l’État taxe le plus.
Les courtiers grossistes en première ligne
es offres non responsables en individuel constituent le territoire de prédilection des courtiers grossistes.
De Néoliane à April : l’essor des offres non responsables
Le courtier grossiste Néoliane a été précurseur en lançant sa première offre non responsable, Néoliane Sant€co, dès 2018[8]. Pourtant, la majorité des courtiers grossistes ne lui ont emboité le pas qu’en 2024.
Quant au leader du secteur, April, il n’a proposé son offre non responsable, APRIL Only Santé, qu’en 2025[9].
Distribuées exclusivement en VAD, ces offres rencontrent un succès souvent au-delà des prévisions et vont jusqu’à représenter 30% de leur production sur ce canal.
Conscients de l’importance du devoir de conseil pour éviter l’effet déceptif sur le niveau de couverture, les acteurs déploient des moyens importants pour informer et alerter les assurés tout au long de leur parcours de vente. Certains vont même jusqu’à déclencher des appels sortants post-souscription pour valider la bonne compréhension des garanties souscrites.
Finalement, comme le souligne Fanny Gilbert Directrice Générale Adjointe de Meilleurtaux Santé, « le non responsable oblige à avoir un comportement encore plus responsable dans le processus de vente ».
Cette exigence de conseil constitue parfois un frein pour certains acteurs. Leurs réseaux de distribution sont en effet réticents face aux risques encourus, souvent par manque d’expertise.
Même si tous les acteurs n’ont pas un recul suffisant, les premiers retours d’expérience montrent un faible taux de réclamations et aucun pic significatif durant la période critique d’un an.
Le non responsable : une rentabilité attractive pour les assureurs
Pour les assureurs, le non responsable présente un niveau de rentabilité meilleur et un risque mieux maîtrisé. Il permet également de s’affranchir de la lourdeur des travaux en lien avec les évolutions réglementaires (mise en conformité de portefeuille, rattrapage tarifaire, …).
Si les assureurs ont pu se montrer frileux au démarrage, ils y trouvent aujourd’hui leur intérêt. Ils restent néanmoins discrets et se contentent pour la plupart de concevoir des offres en marque blanche pour les courtiers grossistes.
C’est aussi un marché qui commence à séduire les réassureurs qui y retrouvent une certaine valeur ajoutée technique, et qui sert aussi de tremplin vers d’autres risques.
Le non responsable comme laboratoire du futur contrat responsable
En somme, les offres non responsables constituent une première source d’inspiration pour trouver des pistes d’évolution du contrat responsable.
Aussi, une première réflexion pourrait être menée sur le périmètre des garanties minimales et maximales à couvrir dans le contrat responsable. L’objectif serait de revenir à la prise en charge des soins essentiels dans une logique assurantielle et non de consommation. Il ne s’agira pas pour autant d’exclure le dispositif 100% Santé.
Une seconde réflexion pourrait être portée sur la réintroduction des mécanismes de franchises ou de délais de carence. Ces mécanismes permettraient de responsabiliser les assurés dans leur consommation de soins et de faire évoluer les comportements.
Ainsi en redonnant de la souplesse dans la composition des paniers de garanties, les assureurs pourraient retrouver de la marge pour déployer plus de prévention.
Les idées ne manquent pas pour réformer le contrat responsable. Cette évolution ne constitue cependant qu’une piste parmi d’autres pour améliorer l’accès aux soins et maîtriser les dépenses de santé.
Cette réforme devra s’intégrer dans une politique plus globale de santé publique qui nécessitera une vraie concertation entre les pouvoirs publics et les organismes d’assurance complémentaire.
Le contexte politique instable rend peu probable une réforme d’envergure dans l’immédiat. Les contrats non responsables devraient donc perdurer encore quelques années.
- « L’obligation d’un contrat santé collectif depuis responsable depuis 2015 », ag2rlamondiale.fr, Pourquoi un contrat santé « responsable » ?, 2025.
- Frédéric Bizard, « Mutuelles : vers une réforme pour endiguer la spirale des prix », theconversation.com, 16 janvier 2025
- Cité par Maxime François, « Contrats santé : l’Assurance maladie favorable à un allégement de la réglementation », argusdelassurance.com, 27 mars 2025
- « France Assureurs, la Mutualité Française et le Centre Technique des Institutions de Prévoyance proposent la refonte du contrat responsable », franceassureurs.fr, 26 septembre 2024.
- Maxime François, « Complémentaire santé : en 2024, la tentation des contrats non responsables bon marché », argusdelassurance.com, 17 janvier 2024.
- « La taxation des complémentaires santé », page 1, 5 page, solidarites-sante.gouv.fr, DREES, 2024.
- « Un couple d’assurés de 60 ans en garanties renforcées doit désormais débourser en moyenne plus de 250 euros par mois (soit plus de 3000 euros par an) pour bénéficier d’une couverture complémentaire. », Julien Da Sois, « Les tarifs des complémentaires santé s’envolent pour les seniors », lefigaro.fr, 26 septembre 2023.
- « Mutuelle Néoliane », courtier.fr, 2025
- « APRIL Only Santé », april.fr, 2025.